Développement durable ou dérive court termiste ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°665 Mai 2011
Par Jean-Pierre CASTEL (68)

La dérive court ter­miste est sou­vent dénon­cée, rare­ment analysée

Le déca­lage entre prises de déci­sion « court ter­mistes » et constantes de temps « réelles » ali­mente une vola­ti­li­té des prix. Dans le cas des matières pre­mières, celle-ci est aggra­vée par l’ir­rup­tion de nou­veaux acteurs finan­ciers sur les marchés.

Il n’y a pas si long­temps, les banques et les grandes familles res­taient atta­chées à leurs entre­prises, et en confiaient les rênes à des mana­gers stra­tèges. Aujourd’­hui encore, quelques groupes fami­liaux, comme Toyo­ta ou Bosch, détonnent par leur culture d’en­tre­prise plus sou­cieuse d’un déve­lop­pe­ment par­te­na­rial à long terme avec l’en­semble de leurs sta­ke­hol­ders que d’une satis­fac­tion immé­diate de leurs seuls sha­re­hol­ders.

Les nou­veaux acteurs de la « finance de mar­ché » conduisent le monde avec une stra­té­gie d’ar­bi­trage de plus en plus court ter­miste, dans une rela­tion de plus en plus » inter­mé­diée « , décou­plée du réel.

Pour une approche systémique

Les appels au déve­lop­pe­ment durable contrastent de façon pathé­tique avec l’ac­cé­lé­ra­tion per­ma­nente dans laquelle nous vivons. La dérive mêlant court ter­misme et ano­ny­mat est certes sou­vent dénon­cée, mais elle s’im­pose à nous par une sorte de fata­li­té. Elle ne fait guère l’ob­jet d’a­na­lyses qui per­met­traient de com­prendre son ori­gine, ses pers­pec­tives, ses moteurs internes.

Il s’a­git vrai­sem­bla­ble­ment d’une évo­lu­tion com­plexe, sys­té­mique, où de nom­breux fac­teurs de risques sont en inter­re­la­tion, par exemple la liqui­di­té de l’é­co­no­mie, l’o­pa­ci­té des mar­chés, voire encore l’ac­crois­se­ment des inéga­li­tés de reve­nus, illus­tré entre autres, par une sur­chauffe dans les ber­lines de luxe et une ato­nie sur les modèles populaires.

L’ar­gu­ment de la cupi­di­té, habi­tuel­le­ment avan­cé, ne fait que mettre en évi­dence la pau­vre­té de l’a­na­lyse, la nature humaine n’ayant sans doute guère chan­gé depuis Adam Smith.

Faute d’être capable de relier ces dys­fonc­tion­ne­ments mul­tiples, la parole des hommes publics, poli­tiques ou éco­no­miques se contente d’é­mo­tion et d’in­can­ta­tion, comme si elle éma­nait d’ap­pren­tis sor­ciers sans prise sur la réalité.

Quelques questions

Cette accé­lé­ra­tion, ce chan­ge­ment dans la per­cep­tion du temps sont-ils l’ef­fet, ou la cause, des nou­velles tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion ? Est-ce l’a­ver­sion du citoyen amé­ri­cain pour toute régu­la­tion admi­nis­trée qui a favo­ri­sé la foi dérai­son­nable en l’ef­fi­cience du mar­ché d’un Mil­ton Fried­man et d’un Ronald Rea­gan, ou l’inverse ?

Dans cet éche­veau de causes, d’ef­fets et de feed­backs, la dérive court ter­miste n’est-elle qu’un symp­tôme par­mi d’autres, ou pour­rait-elle être un fil d’A­riane qui per­met­trait de démê­ler la com­plexi­té de notre monde, de mieux orien­ter l’action ?

La mon­dia­li­sa­tion doit-elle, par la loi des grands nombres, frei­ner la vola­ti­li­té, ou l’ac­croître par la géné­ra­li­sa­tion du mimétisme ?

La mon­tée de l’in­di­vi­dua­lisme, de l’in­ci­vi­li­té, voire le déve­lop­pe­ment de la » prime à la cas­se­role » de nos hommes poli­tiques sont-ils des réac­tions iné­luc­tables face à la taille et à l’a­no­ny­mat crois­sants de notre vil­lage pla­né­taire ? Certes, l’o­pa­ci­té et la défiance se déve­loppent plus faci­le­ment que la trans­pa­rence et la confiance.

Appel à nos intellectuels

Aus­si pour­rait-on sou­hai­ter que nos intel­lec­tuels nous viennent en aide pour déchif­frer la sys­té­mique d’un monde accé­lé­ré, glo­ba­li­sé, com­po­sé de sept mil­liards d’ha­bi­tants indi­vi­dua­listes mais for­te­ment mimé­tiques, doté de sys­tèmes de pou­voir dis­pa­rates, décen­tra­li­sés, voire obscurs.

Éclai­rer notre lan­terne sur l’o­ri­gine du cou­rant court ter­miste qui nous entraîne pour­rait être plus utile que dis­cou­rir sur un déve­lop­pe­ment durable de plus en plus mythique. Expli­quer l’o­ri­gine de la vola­ti­li­té et de l’o­pa­ci­té crois­santes qui rac­cour­cissent notre hori­zon pour­rait nour­rir le dia­logue entre les citoyens, les agents éco­no­miques et les décideurs.

Commentaire

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Jean-Pierre Cas­telrépondre
10 mai 2011 à 17 h 10 min

JPC consul­ting
Pour info, je viens de trou­ver les actes d’un col­loque de Ceri­sy qui a débat­tu de cette question :

Déter­mi­nismes
et complexités :
du physique
à l’éthique

La Décou­verte, 2008

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