Des projets humanitaires en Inde comme stages ouvriers

Dossier : ExpressionsMagazine N°572 Février 2002
Par Clarisse FIL (99)
Par Guillaume PÉTRIAT (99)
Par Vivien TRAN-THIEN (99)

Entre la deuxième et la troi­sième année à l’École, les élèves doivent suivre un stage de contacts humains. Son but est de faire décou­vrir aux élèves un nou­vel envi­ron­ne­ment cultu­rel (en géné­ral, celui d’une entre­prise indus­trielle, en France ou à l’étranger) en les pla­çant dans les condi­tions d’un exé­cu­tant de base. D’une durée de quatre semaines, il peut prendre des formes très diverses, comme celle d’un pro­jet huma­ni­taire. Nous sommes une tren­taine d’élèves de la pro­mo­tion 99 par­tis cet été en Inde pour effec­tuer ce stage sous la tutelle de l’association Inde-Espoir.

Depuis 1985, Inde-Espoir envoie chaque année des groupes d’étudiants par­ti­ci­per à des chan­tiers de déve­lop­pe­ment en Inde. Sitôt nos trois équipes for­mées (une quin­zaine de membres, X 99 ou élèves d’écoles de com­merce), l’association nous a mis en contact avec les par­te­naires indiens, enga­gés dans des vil­lages pauvres du pays ou dans des bidonvilles.

Afin de trou­ver le finan­ce­ment des chan­tiers (maté­riaux, achat du ter­rain, salaire des maçons…), nous nous sommes fré­quem­ment réunis dès jan­vier 2001. Cela nous a aus­si per­mis de mieux nous connaître et de décou­vrir à l’aide d’exposés dif­fé­rents aspects de l’Inde (his­toire, socié­té, reli­gion…). Début août 2001, nous avons rejoint nos dif­fé­rents chan­tiers pour tra­vailler un mois comme simples manoeuvres.

Là-bas, nous avons assis­té les maçons indiens dans les dif­fé­rentes étapes de la construc­tion. Le maté­riel à notre dis­po­si­tion était très rudi­men­taire : nous n’avions ni brouettes ni pelles ni béton­neuse. Nos outils étaient prin­ci­pa­le­ment des gamelles de fer blanc, des bêches, des pioches et des barres à mine. Notre tra­vail prin­ci­pal était de trans­por­ter les maté­riaux (sable, pierres, ciment…). Nous avons aus­si creu­sé et rem­pli de béton les fon­da­tions. Enfin, nous avons éle­vé et recou­vert d’enduit des pans de murs en briques ou en pierres de récupération.

Nos trois pro­jets ciblaient des aspects dif­fé­rents des dif­fi­cul­tés du déve­lop­pe­ment en Inde. Voi­ci une des­crip­tion de leur contexte et de leurs réalisations.

Groupe A :
construction de trois maisons et d’un centre social dans un village tribal près de Mysore

Padou­ko­té est un vil­lage du sud de l’Inde situé à 40 kilo­mètres de Mysore. Le relief de la région rend néces­saire une irri­ga­tion hélas trop coû­teuse pour les plus pauvres. La tri­bu avec laquelle nous avons tra­vaillé a été éta­blie sur une de ces terres infer­tiles près de Padou­ko­té depuis une dizaine d’années par l’État indien. Ses habi­tants, mépri­sés par les autres Indiens du vil­lage, sont consi­dé­rés comme “hors caste ” et infé­rieurs aux “ intou­chables ”. Per­sua­dés d’être des inca­pables depuis leur nais­sance, ils ne cherchent pas à sor­tir de leur misère. Les soeurs ursu­lines fran­cis­caines qui nous ont accueillis connais­saient bien cette tri­bu qu’elles visitent régu­liè­re­ment depuis plu­sieurs années.

Le chantier en INDEÀ notre arri­vée, les tri­baux vivaient dans des huttes de bran­chages. Ce fut très gra­ti­fiant de voir que, tout au long du chan­tier, nous avons appris à nous connaître et à tis­ser des rela­tions d’autant plus fortes que la bar­rière de la langue limi­tait ter­ri­ble­ment nos conversations.

Les trois mai­sons et le centre social que nous avons construits répon­daient à un besoin immé­diat : celui d’un loge­ment pour au moins trois familles dont la hutte tom­bait en ruine et n’aurait pas tra­ver­sé l’hiver, et celui d’un lieu de gar­de­rie pour les enfants pen­dant la jour­née ou de sto­ckage des vivres du vil­lage en cas de tempête.

Cela cor­res­pon­dait aus­si à la volon­té d’encourager cette popu­la­tion à l’écart du vil­lage voi­sin à se faire accep­ter, en lui don­nant confiance en elle et en l’aidant à faire ses pre­mières démarches auprès du vil­lage. Grâce aux soeurs, les enfants sont sco­la­ri­sés depuis peu, ce qui est un grand pro­grès. En tra­vaillant avec nous, cette tri­bu a pu se rendre compte de sa capa­ci­té de tra­vail ; nous espé­rons avoir ain­si ini­tié une dyna­mique de prise en charge et de déve­lop­pe­ment de ce village.

Nous avons éga­le­ment construit vingt toi­lettes dans un autre vil­lage tri­bal à une dizaine de kilo­mètres de là. C’est un pre­mier pas vers le déve­lop­pe­ment de l’hygiène, mais aus­si vers l’acquisition d’une digni­té humaine.

Au-delà d’une expé­rience enri­chis­sante de tra­vail ouvrier, cette mis­sion a été l’occasion de nous remettre pro­fon­dé­ment en cause. Nous vou­lons gar­der à l’esprit que la misère n’est pas une don­née pure­ment éco­no­mique mais que c’est sur­tout une réa­li­té humaine, et qu’il ne faut pas l’accepter par fata­lisme. Nous avons, nous Occi­den­taux, les moyens de nous mobi­li­ser pour accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment de tels pays.

Groupe B :
construction d’un centre social à Makkalmaradi

Notre chan­tier s’est dérou­lé à Mak­kal­ma­ra­di, un petit vil­lage rural dans le dis­trict de Bel­gaum (au nord du Kar­na­ta­ka, à l’est de Goa). Nous avons par­ti­ci­pé à la construc­tion d’un centre social, des fon­da­tions au sol du pre­mier étage, pour une asso­cia­tion indienne de déve­lop­pe­ment, appe­lée Jana Jaga­ran. Le bâti­ment construit per­met­tra de mettre en oeuvre un plan d’éducation fami­liale et sociale : hygiène, soins à don­ner aux enfants, inci­ta­tion à la sco­la­ri­sa­tion des enfants, ges­tion des éco­no­mies, etc. L’année pro­chaine, un autre groupe par­ti­ra pour com­plé­ter la construc­tion mais le centre actuel pour­ra très bien­tôt accueillir ses pre­mières réunions.

Nous avons été par­ti­cu­liè­re­ment séduits par le cre­do de Jana Jaga­ran et impres­sion­nés par la concré­ti­sa­tion de ses prin­cipes. L’association n’apporte pas d’aides finan­cières aux habi­tants du dis­trict de Bel­gaum mais met en oeuvre des pro­grammes de for­ma­tion (par exemple, ges­tion des éco­no­mies du foyer pour les mères de famille, cou­ture pour les jeunes filles, soins aux trou­peaux pour les ber­gers nomades…). Ces connais­sances visent bien sûr à amé­lio­rer le quo­ti­dien des plus défa­vo­ri­sés. Mais elles per­mettent aus­si, dans un pays où l’individualité s’efface der­rière les tra­di­tions et la reli­gion, de déve­lop­per la confiance en soi et l’autonomie.

De plus, notre tra­vail sur le chan­tier a légi­ti­mé notre pré­sence à Mak­kal­ma­ra­di pen­dant un mois.

Nous avons ain­si eu la chance de décou­vrir la vie de tous les jours dans les cam­pagnes de l’Inde. Nous avons décou­vert des cou­tumes par­fois décon­cer­tantes mais sur­tout nous avons été très tou­chés par les valeurs de géné­ro­si­té et d’hospitalité des vil­la­geois : l’accueil fes­tif à notre arri­vée, la joie de vivre des enfants et les invi­ta­tions de leurs parents nous sont allés droit au coeur.

Nous avons aus­si pu consta­ter avec amer­tume la grande rudesse et l’extrême pré­ca­ri­té de la vie au vil­lage. Par exemple, la séche­resse sévis­sait pen­dant notre séjour, une récolte avait d’ores et déjà été per­due et les temps à venir s’annonçaient très durs si le cli­mat ne s’améliorait pas.

Groupe C :
construction d’une école pour les enfants des bidonvilles de Bijapur

Bija­pur est une ville de 200 000 habi­tants, située dans l’État du Kar­na­ta­ka dans le sud-ouest du pays. Cette ville vit au jour le jour pour nour­rir sa popu­la­tion. De plus, le manque de pluie cette année va induire une famine impor­tante d’ici les six pro­chains mois, car les récoltes ne pour­ront avoir lieu. Par ailleurs, l’école publique de Bija­pur se révèle inca­pable de don­ner une édu­ca­tion conve­nable aux enfants de ces bidon­villes, et ain­si les écarts se creusent avec les familles les plus éle­vées de la ville.

Au travail !L’école que nous avons construite est une école pri­vée diri­gée par les soeurs ursu­lines fran­cis­caines, et des­ti­née à accueillir les intou­chables issus des bidon­villes. Pour le moment, les soeurs assurent les cours. Si l’école fait ses preuves d’ici trois ans, l’État paie­ra le salaire des pro­fes­seurs, ce qui lui per­met­tra de res­ter gratuite.

L’école s’appuie notam­ment sur le réseau for­mé par la tren­taine de pré­no­vices qui par­courent les bidon­villes tous les matins pour y sou­te­nir les plus pauvres, et les convaincre de sco­la­ri­ser leurs enfants.

L’objectif de notre école n’est pas de se sub­sti­tuer aux éta­blis­se­ments publics. Il s’agit en revanche de sti­mu­ler l’école publique, en mon­trant que l’on peut pro­po­ser une édu­ca­tion de qua­li­té sans impo­ser de frais de sco­la­ri­té élevés.

Ain­si, nous avons pas­sé un mois chez les soeurs fran­cis­caines ursu­lines res­pon­sables de l’école en construc­tion. Lorsque nous sommes arri­vés début août, il res­tait trois pièces à construire pour ter­mi­ner le rez-dechaus­sée de l’école : une grande salle en par­tie mon­tée par un autre groupe d’étudiants fran­çais en juillet, et deux autres petites à construire com­plè­te­ment. Il se peut que l’école soit agran­die par la suite pour accueillir plus d’élèves, nous avons donc pré­vu un esca­lier pour d’éventuels étages. Le chan­tier était super­vi­sé par un ingé­nieur archi­tecte et une soeur. Par ailleurs, une dizaine d’ouvriers indiens tra­vaillaient avec nous chaque jour. Notre tâche était de les aider dans les dif­fé­rentes étapes de la construction.

Fina­le­ment, pen­dant un mois, nous avons vécu avec les soeurs indiennes, les ouvriers et les enfants du quar­tier. Nous avons visi­té les bidon­villes avec elles. Confron­tés quo­ti­dien­ne­ment à toutes formes de pau­vre­té, nous avons pu réflé­chir sur l’aide au déve­lop­pe­ment en Inde : elle n’est pas facile et ce que nous avons fait est infime.

C’est une réelle chance pour nous, élèves de l’École poly­tech­nique, de pou­voir effec­tuer ce stage dans de si bonnes condi­tions. Nous espé­rons que cette tra­di­tion se per­pé­tue­ra, pour sou­te­nir des pro­jets de déve­lop­pe­ment en Inde et enri­chir les réflexions d’étudiants français.

Nous remer­cions tous nos dona­teurs, et plus par­ti­cu­liè­re­ment l’A.X. et la socié­té Gold­man Sachs, pour leurs sou­tiens finan­ciers et leurs encou­ra­ge­ments. Grâce à leur géné­ro­si­té, ces trois chan­tiers de déve­lop­pe­ment ont pu être menés à terme, dans d’excellentes conditions.

Notre action au sein d’Inde-Espoir s’inscrit dans la durée : déjà de nou­veaux pro­jets se mettent en place pour l’été 2002.

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