Titan, satellite de saturne

Des bactéries et des tholins, ou le secret de la vie révélé par Titan ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°721 Janvier 2017
Par Gwladys SANCHEZ (14)

Les tho­lins sont des sub­stances orga­niques plus ou moins azo­tée for­més sous l’ac­tion du rayon­ne­ment ultra­vio­let sur des com­po­sés orga­niques simples. On en trouve à la sur­face de nom­breux astres du Sys­tème solaire externe, dont Titan. Le pro­jet consis­tait à étu­dier l’adaptation de bac­té­ries à des milieux ne conte­nant aucune source de car­bone excep­té les tho­lins, afin d’identifier les méca­nismes mis en jeu dans leur métabolisme 

Titan, satel­lite de Saturne inté­res­sant pour ses simi­la­ri­tés avec la Terre, pos­sède une atmo­sphère proche de l’atmosphère pri­mi­tive de la Terre, telle qu’on l’imagine aujourd’hui.

En par­ti­cu­lier, l’atmosphère de Titan contient des molé­cules orga­niques com­plexes nom­mées tho­lins, introu­vables aujourd’hui sur Terre, mais dont on soup­çonne la pré­sence aux ori­gines de notre planète. 

Des cher­cheurs de la NASA ont mon­tré que cer­taines bac­té­ries étaient même capables de les uti­li­ser comme source de car­bone, voire d’acides aminés. 

UN RÉACTEUR À PRODUIRE DES THOLINS

Nous vou­lions étu­dier l’adaptation de bac­té­ries à des milieux ne conte­nant aucune source de car­bone excep­té les tho­lins, afin d’identifier les méca­nismes mis en jeu dans leur méta­bo­lisme. Pour ce faire, nous avons uti­li­sé le réac­teur PAMPRE, déve­lop­pé par le pro­fes­seur Guy Cer­no­go­ra à l’université de Ver­sailles Saint-Quentin. 

LES THOLINS

Ces tholins, à la frontière entre microet nanoparticules, sont des polymères composés de carbone, d’hydrogène et d’azote. Ils sont notamment responsables de la couleur rouge de Titan et auraient des propriétés absorbantes comparables à notre couche d’ozone actuelle.

Ce réac­teur per­met la pro­duc­tion de tho­lins selon un méca­nisme extrê­me­ment fidèle à celui qui a lieu dans la haute atmo­sphère de Titan. La syn­thèse des tho­lins est déclen­chée par une décharge de plas­ma dans un mélange gazeux de méthane (CH4) et de dia­zote (N2), don­nant lieu à des tho­lins sous forme de poudre. 

L’équipe du pro­fes­seur Cer­no­go­ra nous a per­mis d’utiliser le PAMPRE une jour­née entière. Équi­pés de blouses, de gants et de masques à nano­par­ti­cules, nous avons lan­cé la pro­duc­tion et obte­nu près de 200 mg de tho­lins au bout de six heures de réaction. 

NOUS CULTIVONS DES BACTÉRIES

Une fois les tho­lins pro­duits, avec l’aide de Han­nu Myl­ly­kal­lio qui enca­drait notre pro­jet, nous avons tes­té un échan­tillon bac­té­rien le plus vaste pos­sible obte­nu à par­tir d’échantillons de sols pré­le­vés sur le cam­pus de l’École (fumier du centre équestre, terre mouillée au bord du lac, terre sèche des ter­rains sportifs). 


Les tho­lins sont res­pon­sables de la cou­leur rouge de Titan. © TRISTAN3D / FOTOLIA.COM

Ces échan­tillons ont d’abord été incu­bés dans un milieu dépour­vu de rési­dus car­bo­nés, plus ou moins riche en sels et miné­raux, et conte­nant une quan­ti­té idoine de tholins. 

Les cultures, troubles après quelques jours, avaient vrai­sem­bla­ble­ment été le lieu du déve­lop­pe­ment de bac­té­ries ; nous avons alors pro­cé­dé à l’étalement sur une boîte de Petri de chaque sur­na­geant pour mettre en évi­dence la pré­sence de colo­nies. Ces der­nières, obser­vées après incu­ba­tion pen­dant quelques jours, ont été sou­mises à une ana­lyse visuelle (cou­leur, taille, brillance, forme, etc.), afin de déga­ger un cer­tain nombre d’espèces bac­té­riennes et de les iso­ler sur de nou­velles boîtes de Petri. 

Ces iso­la­tions ont été confir­mées en répé­tant les opé­ra­tions pré­cé­dentes : le sur­na­geant de chaque tube a été remis en culture dans le milieu pauvre avec les tho­lins, puis le nou­veau sur­na­geant a été éta­lé sur une boîte de Petri et les colo­nies dif­fé­ren­ciées à l’oeil isolées. 

Lors de la deuxième expé­rience, moins de bac­té­ries ont été iso­lées, ce qui sem­blait confir­mer un affi­nage des résul­tats : cer­taines bac­té­ries auraient pu sur­vivre grâce à la pré­sence de rési­dus car­bo­nés pré­sents dans les échan­tillons, ou sim­ple­ment béné­fi­cier d’une durée de vie plus grande en leur absence, mais être ensuite éli­mi­nées lors de la seconde série d’incubations. Au total, 23 bac­té­ries, a prio­ri dif­fé­rentes, ont été isolées. 

À LA RECHERCHE DU GÉNOME

Chaque type bac­té­rien iso­lé a ensuite été sou­mis à une PCR (réac­tion en chaîne par poly­mé­rase) de la séquence du gène codant pour l’ARN 16S, hau­te­ment conser­vé et carac­té­ris­tique des dif­fé­rentes espèces bac­té­riennes. Neuf PCR ont fonc­tion­né, résul­tat encou­ra­geant vu la méthode uti­li­sée (rapide, mais sans puri­fi­ca­tions inter­mé­diaires et rela­ti­ve­ment peu efficace). 

Les participants au projet
Les par­ti­ci­pants au pro­jet, de gauche à droite : Gleb Sima­nov, Gwla­dys San­chez, Qui­te­rie For­que­not, Gabriel Comolet.

Les bac­té­ries pour les­quelles les PCR avaient fonc­tion­né ont ensuite été envoyées à Euro­fins Geno­mics pour séquen­çage, et les résul­tats récu­pé­rés ont été trai­tés par ana­lyse bio-infor­ma­tique. Il s’est d’abord agi d’identifier les échan­tillons : à l’aide de bases de don­nées en ligne (BLAST – NCBI), huit bac­té­ries dif­fé­rentes ont été iden­ti­fiées, avec un pour­cen­tage de res­sem­blance de 99 %. 

Notre objec­tif était alors de nous pro­cu­rer les séquences des génomes com­plets des bac­té­ries iden­ti­fiées, afin de pro­cé­der à une ana­lyse com­pa­ra­tive deux à deux per­met­tant de dis­tin­guer les par­ties com­munes (gènes par­ta­gés) puis, à l’aide de bac­té­ries non adap­tées aux tho­lins, de refaire ces com­pa­rai­sons deux à deux pour éli­mi­ner les gènes com­muns (et donc néces­sai­re­ment non impli­qués dans le méta­bo­lisme des tholins). 

À par­tir de là, nous espé­rions obte­nir un ou plu­sieurs gènes poten­tiel­le­ment impli­qués dans les méca­nismes du méta­bo­lisme des tho­lins. Cepen­dant, cette par­tie n’a pu être réa­li­sée, pour plu­sieurs rai­sons. Il s’est tout d’abord avé­ré extrê­me­ment dif­fi­cile de trou­ver dans les bases de don­nées les séquences com­plètes des génomes de ces espèces bac­té­riennes, et nous n’avons pu trou­ver aucun logi­ciel suf­fi­sam­ment per­for­mant pour réa­li­ser un tel nombre de com­pa­rai­sons deux à deux, et encore moins à par­tir de génomes com­plets, net­te­ment trop volumineux. 

RETOUR À L’ANALYSE PHYLOGÉNÉTIQUE

Tou­te­fois, ces dif­fi­cul­tés nous ont ame­nés à nous pen­cher plus par­ti­cu­liè­re­ment sur la réa­li­sa­tion d’une ana­lyse phy­lo­gé­né­tique, qui nous a alors révé­lé que les bac­té­ries iso­lées n’appartenaient pas à une même famille, et n’étaient pas non plus proches de quelque manière que ce soit dans l’arbre phy­lo­gé­né­tique bactérien. 

ARN 16S

Les ARN ribosomiques, dont l’ARN 16S, sont un outil précieux dans l’étude de l’évolution et des parentés microbiennes, car ils sont essentiels à un organite essentiel trouvé chez tous les microorganismes. Leur structure se modifie très lentement au cours du temps.

Cela nous a conduits à sup­po­ser qu’il n’existait pas un méca­nisme unique des tho­lins, décou­lant d’une muta­tion chez un ancêtre com­mun hypo­thé­tique, mais très cer­tai­ne­ment de méca­nismes mul­tiples, aus­si divers que les familles bac­té­riennes aux­quelles appar­te­naient nos bactéries. 

Bien que dif­fé­rents de ceux atten­dus, ces résul­tats sont par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sants concer­nant la grande diver­si­té de bac­té­ries capables de sur­vivre en pré­sence exclu­sive de tho­lins, notam­ment en ce qui concerne la ques­tion de la conta­mi­na­tion de l’espace par les sondes spatiales. 

En effet, si des bac­té­ries ter­restres s’avèrent capables de sur­vivre aux condi­tions chi­miques carac­té­ris­tiques de Titan, ou de Plu­ton (qui contient aus­si des tho­lins), une atten­tion toute par­ti­cu­lière doit être atta­chée à la sté­ri­li­sa­tion des sondes envoyées dans l’espace.

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