Des atomes aux dispositifs quantiques

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Manijeh RAZEGHI
Par Siméon BOGDANOV (04)

La force majeure des nano­tech­no­lo­gies opto­élec­tro­niques est la science des maté­riaux. Grâce à plus de soixante ans de recherche, la tech­no­lo­gie de crois­sance du sili­cium a été per­fec­tion­née jusqu’à un niveau à peine imaginable.

Il n’y a aujourd’hui qu’un atome d’impureté pour un tril­lion d’atomes de sili­cium. Cepen­dant, les accom­plis­se­ments de l’optoélectronique auraient été bien pauvres si elle ne pou­vait comp­ter que sur le silicium.

REPÈRES

Fondé en 1991, le Center for Quantum Devices (CQD) de la Northwestern University, dans la banlieue de Chicago, a pour mission de poursuivre la recherche universitaire de haut niveau se spécialisant en composants optoélectroniques à base de semiconducteurs composés IIIV.
Depuis sa création le CQD, dirigé par le professeur Razeghi, a un rapport très proche avec l’X : plus de 25 polytechniciens y ont effectué stages, thèses (PhD) ou recherches postdoc.

Les limites du silicium

En effet, la lar­geur de la bande inter­dite (voir enca­dré) y est fixée autour de 1,1 eV, ce qui en res­treint for­te­ment les applications.

La bande de valence est la bande d’énergie où se situent les électrons contribuant à la cohésion locale du cristal (entre atomes voisins). Ces états énergétiques sont affectés par la présence des autres atomes.
Pour les isolants et les semiconducteurs, il y a une bande interdite entre la bande de valence et la bande de conduction. Pour être absorbée, une particule de lumière doit avoir une énergie supérieure à la largeur de la bande interdite.
Pour les métaux, la bande de valence est la même que la bande de conduction.

Qui plus est, le sili­cium est un maté­riau dit de bande inter­dite indi­recte, dans lequel l’émission optique est très inefficace.

Pour des com­po­sants opto­élec­tro­niques tels que les détec­teurs ou les lasers fonc­tion­nant dans l’ultraviolet ou l’infrarouge le sili­cium n’est pas le maté­riau de choix ; d’autres can­di­dats doivent être examinés.

Développer de nouveaux matérieux

Plu­sieurs familles de maté­riaux com­pre­nant des atomes des colonnes III et V de la table pério­dique sont par­ti­cu­liè­re­ment attirantes.

“ Un atome d’impureté pour un trillion d’atomes de silicium ”

Les III-nitrures (AlN, InN, GaN, etc.) ont géné­ra­le­ment leurs zones inter­dites dans le visible et l’ultraviolet, tan­dis que les III-anti­mo­niures, III-arsé­niures et III-phos­phures (InAs, GaAs, AlSb, InP, InSb, etc.) sont de très bons semi-conduc­teurs pour des appli­ca­tions dans l’infrarouge.

Qui plus est, il est sou­vent pos­sible de com­bi­ner ces élé­ments des colonnes III et V de façon plus intri­quée pour don­ner nais­sance aux maté­riaux ter­naires ou encore aux super­ré­seaux avec des pro­prié­tés ultra­mal­léables pour cou­vrir conti­nuel­le­ment de larges spectres en fréquence.

D’autre part, les semi-conduc­teurs III‑V pré­sentent des avan­tages : une grande sta­bi­li­té chi­mique, une com­po­si­tion contrô­lable et des sub­strats de crois­sance moins coûteux.

Images obte­nues à l’aide d’une camé­ra infra­rouge à base de super­ré­seaux InAs/GaSb/AlSb refroi­die à 80 K.

Une installation à la pointe de la recherche

Le CQD a mis en place une ins­tal­la­tion com­plète pour ce type de recherche com­pre­nant la crois­sance épi­taxiale de couches fines semi-conduc­trices, la carac­té­ri­sa­tion et le trai­te­ment des maté­riaux et la fabri­ca­tion du com­po­sant, le dépôt de couches fines diélec­triques et métal­liques, l’emballage du com­po­sant et sa caractérisation.

L’établissement occupe un total d’environ 800 mètres car­rés de labo­ra­toires dont 300 mètres car­rés réser­vés à la salle blanche.

Maintenir une qualité « atomique »

Face avant d’un laser à cascade quantique.
Image obte­nue à l’aide d’un micro­scope élec­tro­nique de la face avant d’un laser à cas­cade quan­tique. Le milieu ampli­fi­ca­teur est confi­né entre deux régions de InP dopées au fer.

Le plus grand défi dans cette quête de nou­veaux maté­riaux répon­dant aux besoins du mar­ché est d’en main­te­nir une qua­li­té ato­mique lors de la crois­sance. Chaque défaut dû aux imper­fec­tions du réseau cris­tal­lin est source d’effets indé­si­rables, qui ont un énorme impact sur les carac­té­ris­tiques finales du com­po­sant : bruit des détec­teurs, cou­rant de seuil des lasers, effi­ca­ci­té des diodes lumi­nes­centes, fré­quence maxi­male des modu­la­teurs, etc.

C’est pour cela que, dans ce labo­ra­toire équi­pé pour construire un com­po­sant en par­tant lit­té­ra­le­ment des atomes, la recherche gra­vite natu­rel­le­ment autour de la crois­sance des semi-conducteurs.

CONCEVOIR, FABRIQUER ET CARACTÉRISER

Le CQD a éta­bli sa répu­ta­tion dans la concep­tion, la fabri­ca­tion et la carac­té­ri­sa­tion de com­po­sants tels que les détec­teurs infra­rouges à super­ré­seaux, les lasers infra­rouges à cas­cade quan­tique de haute puis­sance, les pho­to­dé­tec­teurs à puits quan­tiques, les LED, les diodes à ava­lanche, entre autres.

Semi-conducteurs en mille-feuilles

Toute la recherche conduite au CQD illustre bien l’importance cen­trale des nou­veaux maté­riaux pour la nano­tech­no­lo­gie. Par exemple, les super­ré­seaux à base de semi-conduc­teurs tels que InAs, GaSb et AlSb sont des maté­riaux uniques résul­tant d’un grand nombre de couches alter­nantes de ces com­po­sés binaires III‑V.

“ Des applications allant de la vision nocturne à la surveillance de la pollution atmosphérique ”

Ces trois semi-conduc­teurs forment une famille au même para­mètre de maille per­met­tant aux mil­liers de couches de dif­fé­rentes com­po­si­tions chi­miques de croître les unes sur les autres tout en conser­vant leur struc­ture cris­tal­line naturelle.

Les pro­prié­tés des super­ré­seaux – les nou­veaux semi-conduc­teurs issus de cette super­po­si­tion – sont conve­na­ble­ment « pro­gram­mables » à tra­vers l’ordre et l’épaisseur des couches alternantes.

Par exemple, avec leur zone inter­dite variant de 1 eV (proche infra­rouge) à quelques dizaines de meV, les super­ré­seaux sont appli­cables à la vision noc­turne, la détec­tion de mis­siles, l’imagerie ther­mique à tem­pé­ra­ture ambiante ain­si que dans la détec­tion de nom­breux agents chi­miques et la sur­veillance de la pol­lu­tion atmosphérique.

Laser à cascade quantique

Un autre exemple illus­trant la puis­sance d’association des com­po­sés III‑V est le laser à cas­cade quan­tique – une source de lumière cohé­rente par­fai­te­ment adap­tée au domaine infra­rouge, où elle peut être appli­quée tant pour la com­mu­ni­ca­tion atmo­sphé­rique que pour les dif­fé­rents types de spectroscopie.

Diode luminescente
Image de micro­sco­pie élec­tro­nique d’une diode lumi­nes­cente ultra­vio­lette fabri­quée avec des maté­riaux nitrides sur un sub­strat de Si enle­vé après la pro­cé­dure de fabri­ca­tion. La couche lumi­nes­cente est alors ren­ver­sée et ins­tal­lée sur un contact AlN.

Ce laser « recycle » chaque élec­tron alors que celui-ci relaxe dans plu­sieurs puits quan­tiques suc­ces­sifs spé­cia­le­ment ali­gnés en éner­gie en émet­tant de la lumière à chaque étape de relaxa­tion. La for­ma­tion et l’alignement judi­cieux des puits quan­tiques dans la région active de ces lasers sont pos­sibles grâce au contrôle de la bande de conduc­tion dans les hété­ro­struc­tures à base de semi-conduc­teurs ter­naires III‑V tels que GaI­nAs et AlInAs.

Nouvelles diodes

Les atomes d’azote étant plus petits que les atomes d’antimoine ou d’arsenic les III­ni­trures ont une bande inter­dite plus large que les III-arsé­niures et les III-anti­mo­niures, et donc une fré­quence de cou­pure dans le domaine visible et l’ultraviolet.

Beau­coup de com­po­sants opto­élec­tro­niques très impor­tants peuvent être éla­bo­rés à par­tir de ces semi-conducteurs.

Les diodes lumi­nes­centes visibles pour l’éclairement, les diodes à ava­lanche pour la détec­tion de pho­tons uniques et autres signaux optiques de très faible inten­si­té, les diodes à effet tun­nel réso­nant pour l’amplification de signaux élec­tro­niques ont déjà été démon­trées au CQD et bien d’autres encore sont en phase de mise au point.

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