Démocratie, marché, gouvernance. Quels avenirs ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°601 Janvier 2005Par : Jacques LESOURNE (48)Rédacteur : M. D. INDJOUDJIAN (41)

Ce livre traite avec une grande clar­té de fond et de forme un sujet impor­tant et com­plexe : que sont aujourd’hui les pers­pec­tives de la démo­cra­tie dans les dif­fé­rents pays et celles de l’organisation poli­tique du monde ?

Du moins était-ce là le pro­pos ini­tial de l’auteur ; mais il l’a enri­chi consi­dé­ra­ble­ment en fai­sant repo­ser la construc­tion de son ouvrage sur deux groupes de trois piliers – que Jacques Lesourne appelle “ les deux triades ” :
démo­cra­tie, mar­ché, gou­ver­nance, d’une part ;
États, socié­tés, civi­li­sa­tions, d’autre part.

L’auteur, en effet, a clai­re­ment dis­cer­né que, sans faire inter­ve­nir expli­ci­te­ment la seconde triade, il lui eût été bien dif­fi­cile de prendre en compte à la fois les inter­ac­tions entre ordre natio­nal et ordre mon­dial, et entre forces éco­no­miques et forces politiques.

Cette concep­tua­li­sa­tion lui per­met dans la pre­mière par­tie du livre des ana­lyses très per­ti­nentes de ce que sont aujourd’hui ces six enti­tés et leurs inter­fé­rences. Ce regard péné­trant sur le pré­sent – et sur le pas­sé qui l’explique – per­met aus­si à l’auteur dans la seconde par­tie, pros­pec­tive, d’éviter l’arbitraire ou l’excès d’abstraction qui sou­vent s’attache à ce genre d’exercice.

Cette orga­ni­sa­tion du livre en deux par­ties semble obéir avec bon­heur au conseil que don­nait Wins­ton Chur­chill : “ The fur­ther you look back­ward, the fur­ther you see forward. ”

Tout cela est excellent et, répé­tons-le, expri­mé dans une langue simple, l’auteur renon­çant au béné­fice de la clar­té à uti­li­ser les sub­ti­li­tés d’écriture dont son talent a don­né des exemples dans de pré­cé­dents ouvrages.

Même si ce livre, qui a 234 pages, en eut été un peu alour­di, j’aurais sou­hai­té que fussent évo­qués expli­ci­te­ment – et parce qu’ils condi­tionnent de façon majeure notre ave­nir à tous – les prin­ci­paux pro­blèmes que les hommes poli­tiques et les médias négligent en faveur de pro­blèmes à court terme sou­vent de bien moindre impor­tance, par exemple : la dimi­nu­tion des réserves d’hydrocarbures face à la mon­tée des besoins, notam­ment de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique ; la pol­lu­tion dans ceux de ses effets qui sont irré­ver­sibles ; les trans­ports ; la démo­gra­phie ; l’eau ; les épi­dé­mies ; le relâ­che­ment des moeurs (consi­dé­ré objec­ti­ve­ment et non selon un a prio­ri moral) ; enfin les effets énormes sur le fonc­tion­ne­ment même de la démo­cra­tie du véri­table chan­ge­ment d’unité de lon­gueur et d’unité de temps qu’a consti­tué l’évolution d’à peu près toutes les civi­li­sa­tions actuelles depuis un demi-siècle.

Le livre est très serein, même s’il tra­duit sou­vent des pré­oc­cu­pa­tions graves. Et un tel essai doit peut-être à la “ loi du genre ” de s’en tenir à une ana­lyse assez froide. On peut se deman­der tou­te­fois si ce res­pect de la loi du genre s’imposait. En rai­son des connais­sances, des longues réflexions et du talent de l’auteur, n’aurait-on pas aimé des opi­nions et des sug­ges­tions, même tran­chées, sur des ques­tions comme les suivantes ?

Conflit entre liber­té indi­vi­duelle et liber­té d’information ; mon­tée des cor­po­ra­tismes ; dis­tinc­tion, dans un État démo­cra­tique, entre fonc­tions réga­liennes et fonc­tions de redis­tri­bu­tion ; prin­cipe de pré­cau­tion ; concept flou, et par là même dan­ge­reux, de “ socié­té civile ”, etc. ?

Et pour­tant, il est piquant de consta­ter que l’une des pages les plus impor­tantes et les mieux venues du livre – la page 227 –, écrite, n’est-ce pas, par un ancien direc­teur du Monde, est un juge­ment concis et per­ti­nent sur la “ socié­té d’information ”.

Mais il y a là, j’espère, la matière d’un nou­veau livre.

Après tout, ne sont pas si nom­breux ceux qui sont véri­ta­ble­ment aptes à for­mu­ler des opi­nions dés­in­té­res­sées et des sug­ges­tions pré­cises pou­vant, même modes­te­ment, même avec un cer­tain délai, peser favo­ra­ble­ment sur l’évolution du monde.

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