Dans le ventre de l’École

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°676 Juin/Juillet 2012Par : Lady GastronomiX

Palai­seau : j’avais ima­gi­né un haut lieu de la séri­ci­cul­ture, où les cocons­crits lovés dans la soie se délec­te­raient de mets soi­gneu­se­ment sélec­tion­nés pour satis­faire leur appé­tit légendaire.

Que nen­ni ! J’entre dans un vaste espace d’un blanc éblouis­sant aux allures de sta­tion de métro : c’est la « sta­tion Magnan », bâti­ment 27 sur la cour Vaneau. Les lieux sont encore en chan­tier, en août pro­chain ils s’ouvriront sur trois mille affa­més, appre­nants et non-appre­nants, comme on les appelle désormais.

Nous sommes loin des tablées mili­taires au menu unique, nour­ri­ture de caserne solide et bien arro­sée, qui, à cer­taines époques, por­taient le nom des pro­fes­seurs qui offi­ciaient le même jour.

Trois mille consom­ma­teurs, de tous âges et de toutes natio­na­li­tés, sou­vent exi­geants, six tonnes de vais­selle, mille canettes (et pas d’alcool) à chaque ser­vice, cinq choix d’entrées, quatre de des­serts, huit lai­tages, six plats ne se traitent plus comme une can­tine familiale.

Économie et séduction

M. Gil­let, le Grand Magnan­tou, m’accueille très cha­leu­reu­se­ment, fier de me pré­sen­ter son pro­jet. Chef d’une entre­prise de res­tau­ra­tion de qua­rante- neuf sala­riés, devant faire face à de mul­tiples contraintes d’hygiène, de sécu­ri­té, de flux, d’économie mais aus­si de séduc­tion, il exerce un métier qui ne res­semble que de très loin à celui de ses pré­dé­ces­seurs de la mon­tagne Sainte-Geneviève.

Le vieux Magnan n’avait aucun effort à four­nir pour res­ter proche des élèves, les­quels n’hésitaient pas à applau­dir quand le repas leur conve­nait ou à le char­ger de malé­dic­tions quand ils n’étaient pas satis­faits. Il faut beau­coup de pas­sion au nou­veau Magnan pour faire coïn­ci­der des exi­gences gus­ta­tives mul­tiples, des contraintes éco­lo­giques et péda­go­giques ; com­ment faire com­prendre à de féroces ama­teurs de steak-frites quo­ti­dien l’impact de leur plat favo­ri sur la pol­lu­tion et sur leur équi­libre intestinal ?

La soupe maison

Aus­si, tous les jours, une soupe mai­son est-elle pro­po­sée, et de plus en plus consom­mée à chaque repas, au point que les mar­mites ont été mul­ti­pliées par quatre. Le Magnan a anti­ci­pé la mode du bar à soupe, il n’y en avait plus une goutte à mon arri­vée. En adop­tant le Plan natio­nal Nutri­tion San­té, le self a impli­qué les étu­diants, sou­cieux d’une démarche éco­ci­toyenne, qui en viennent eux-mêmes à pro­po­ser des solu­tions, telles l’affichage d’une réglette d’indice car­bone pour chaque plat pro­po­sé ou la sug­ges­tion d’apporter ses propres cou­verts pen­dant la période des tra­vaux où le jetable est de rigueur.

Logique et rigueur

Par faveur extrême, et grâce à la noto­rié­té de La Jaune et la Rouge, mon cicé­rone m’introduit, dûment vêtue d’une blouse blanche, dans les entrailles de cette grosse machine. Sous mes yeux éba­his, une usine se déploie : par­tout l’inox rutile, un par­cours rigou­reux s’articule de part et d’autre d’un cou­loir sans fin, sou­li­gné de bleu ou de rouge selon les affec­ta­tions. Nous tra­ver­sons des zones gla­cées, d’autres char­gées de mar­chan­dises prêtes à être trai­tées, pour finir sur le quai des pou­belles, sans que jamais l’enchaînement des tâches ne soit per­tur­bé. Logique et rigueur sans conces­sion, le chaud, le froid, le salé, le sucré, les éplu­che­ries, les lave­ries, le sto­ckage et tant d’autres, s’échelonnent pour abou­tir direc­te­ment des cui­sines dans les assiettes de nos pipos. Cette rigueur est capi­tale, insiste mon hôte, trois mille repas quo­ti­diens néces­sitent fata­le­ment des règles élé­men­taires d’hygiène.

Équilibre, équilibre

INFOS PRATIQUES
Pour déjeu­ner au self, pas besoin de réser­va­tion en deçà de dix personnes
(prix du menu : 11,50 euros).
Pour réser­ver une salle pri­vée, s’adresser au chef de cabi­net ou à son adjoint.

Mal­heu­reu­se­ment, je n’ai pas pu véri­fier à table l’aboutissement de cet engre­nage bien hui­lé, il ne res­tait plus grand-chose, juste une blan­quette de veau (deux mor­ceaux de viande par per­sonne, pas un de plus, pas un de moins, le Magnan veille sur son équi­libre finan­cier et sur notre équi­libre pon­dé­ral) accom­pa­gnée de semoule et de légumes verts. Ce der­nier plat passe l’examen sans dif­fi­cul­té, ce qui n’est pas le cas des pâtis­se­ries de temps de travaux.

Les moeurs ont chan­gé, l’École est deve­nue un centre uni­ver­si­taire de renom­mée inter­na­tio­nale, le Magnan s’est adap­té aux nou­velles attentes de son nou­veau public. Rien ne vous empêche d’aller véri­fier dans les open spaces aux files d’attente bien gérées que la jeu­nesse poly­tech­ni­cienne s’y ras­semble tou­jours gaie­ment, et, si vous le sou­hai­tez, en vous y pre­nant à l’avance, peut-être pour­rez- vous béné­fi­cier du Châ­teau des Demoi­selles, 2008, que consom­maient ce jour-là le chef de corps et ses invités.

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Palai­seau, jeu­di 7 juin 2012.

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