En ville, en Chine

Culture chinoise et management moderne

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003Par : Hao GUAN, ingénieur des Ponts et Chaussées 85, ISA 87, est responsable du “Business Development en Chine” à la Direction Asie de Saur Internationa —— Denis CHIN, ingénieur de l’École spéciale des Travaux publics 74, est le directeur Asie de Saur International

1. Diversité du monde chinois

1. Diversité du monde chinois

Vu de l’Oc­ci­dent, la culture chi­noise, avec ses cinq milles années d’his­toire, évoque immua­ble­ment son carac­tère mys­té­rieux, sa com­plexi­té, sa richesse et en même temps son inac­ces­si­bi­li­té par un Occi­den­tal. L’in­di­vi­du chi­nois est sou­vent décrit comme res­pec­tueux, intel­li­gent, tra­vailleur, com­mer­çant et introverti.

En réa­li­té, la Chine et sa culture cachent der­rière leur appa­rente uni­for­mi­té une réelle diver­si­té qui elle-même évo­lue selon les degrés du déve­lop­pe­ment éco­no­mique des régions.

Déjà à la base, les lan­gages dif­fèrent consi­dé­ra­ble­ment d’une région à l’autre, par exemple entre le Nord et le Sud où le can­ton­nais n’est pas com­pré­hen­sible par un Péki­nois. Le man­da­rin est alors deve­nu la langue véhi­cu­laire pour com­mu­ni­quer entre régions.

His­toires, condi­tions cli­ma­tiques et géo­gra­phie ont for­gé des carac­tères spé­ci­fiques des gens. Par exemple, on dit que :

  • le Shan­ghaïen est sophis­ti­qué, com­mer­çant, ouvert aux nou­velles idées,
  • le Péki­nois est plu­tôt poli­tique, cultivé,
  • le Can­ton­nais est très com­mer­çant, gourmet
  • le Har­bin­nais est cha­leu­reux, généreux.


Le plus grand suc­cès de déve­lop­pe­ment éco­no­mique de cer­taines régions du Sud et de la côte, par contraste avec les régions du Nord, trouve une grande par­tie de son expli­ca­tion dans ces dif­fé­rences de men­ta­li­tés régio­nales. Un inves­tis­seur étran­ger en Chine doit éla­bo­rer sa stra­té­gie sur la base d’une connais­sance pré­cise de la région ou de la ville telle que :

  • les carac­tères des gens et leur his­toire,. le niveau d’éducation,
  • le degré de déve­lop­pe­ment économique,
  • la facul­té et la faci­li­té de com­mu­ni­ca­tion avec l’extérieur.


Une expé­rience n’est pas for­cé­ment trans­po­sable d’une région à l’autre.

2. Comment est managée une entreprise chinoise

Inté­res­sons-nous main­te­nant à la vie d’une entre­prise chi­noise et essayons de com­prendre com­ment fonc­tionnent habi­tuel­le­ment les dif­fé­rents registres du management.

Le périmètre du management d’une entreprise chinoise

À la grande dif­fé­rence du mana­ge­ment occi­den­tal, le péri­mètre du mana­ge­ment d’une entre­prise chi­noise com­prend non seule­ment les aspects clas­siques du mana­ge­ment à l’oc­ci­den­tale comme la moti­va­tion, l’é­va­lua­tion, la pro­mo­tion, la sanc­tion, la for­ma­tion, etc., mais éga­le­ment tous les aspects de la vie d’une com­mu­nau­té comme la san­té du per­son­nel, les mariages, le loge­ment, le plan­ning fami­lial, la sco­la­ri­té des enfants, les vivres pour l’hi­ver, les fêtes et récréa­tions, etc.

L’en­tre­prise est comme une famille, elle doit s’oc­cu­per et se pré­oc­cu­per de la vie de cha­cun de ses membres.

L’environnement d’une entreprise chinoise

Le mana­ge­ment d’une entre­prise chi­noise s’ins­crit dans un envi­ron­ne­ment sou­vent inter­ven­tion­niste : par le par­ti qui gère la pro­mo­tion des cadres prin­ci­paux, par le bureau de super­vi­sion muni­ci­pal qui est la tutelle poli­tique et par la socié­té mère qui enfin repré­sente l’ac­tion­naire. Cela exige un vrai talent de diplo­mate de la part du management.

L’organisation

L’or­ga­ni­sa­tion d’une entre­prise chi­noise dans son appa­rence ne dif­fère pas de celle d’une entre­prise occi­den­tale, tan­dis que son fonc­tion­ne­ment peut en être com­plè­te­ment opposé.

Tout d’a­bord, une orga­ni­sa­tion d’une entre­prise chi­noise en cache tou­jours une autre, l’or­ga­ni­sa­tion du par­ti com­mu­niste. Cette der­nière n’est jamais expli­ci­te­ment indi­quée sur l’or­ga­ni­gramme, le par­ti impose des pro­cé­dures de fonc­tion­ne­ment et joue un rôle pré­pon­dé­rant dans bien des aspects comme la pro­mo­tion, la for­ma­tion, les pro­blèmes sociaux, les sanc­tions. Cer­tains per­son­nels cumulent les fonc­tions de l’en­tre­prise et du par­ti, ce qui leur confère une posi­tion plus impor­tante que ne l’in­dique l’organigramme.

À cela s’a­joute, comme dans de nom­breux pays, l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale, qui vient se super­po­ser à l’or­ga­ni­sa­tion de l’en­tre­prise. Le res­pon­sable du syn­di­cat, géné­ra­le­ment un membre du par­ti, doit bien sûr pro­té­ger les inté­rêts du per­son­nel tout en se sou­met­tant aux règles du parti.

Le rôle du directeur général

Il est le père de famille. Il doit s’oc­cu­per des pro­blèmes de haut en bas, appe­lons ça le mana­ge­ment ver­ti­cal. Il doit contrô­ler tout spé­cia­le­ment la finance et le per­son­nel, il n’y a pas de délé­ga­tion véri­table. Il est acces­sible par tous les éche­lons de la hié­rar­chie, le phé­no­mène de by-pass est courant.

Il est cen­sé être com­pé­tent dans tous les domaines, capable d’ap­por­ter tou­jours une solu­tion à une ques­tion posée. Il doit assu­rer une pré­sence forte, être au cou­rant de tout et aus­si jouer le rôle du poli­cier de temps en temps.

La communication

Dans la com­mu­ni­ca­tion d’en­tre­prise, la recherche de la véri­té n’est que secon­daire, l’im­por­tant est de faire pas­ser le mes­sage. Cacher la véri­té n’est pas condam­nable et men­tir est admis­sible lorsque les cir­cons­tances l’exigent.

L’ac­cès à l’in­for­ma­tion est un pri­vi­lège et même une faveur (voir plus loin).

Le middle management

Du fait de l’om­ni­pré­sence du direc­teur géné­ral, le middle mana­ge­ment se trouve sou­vent dans une situa­tion qui le met devant le fait accom­pli ; un subal­terne peut jus­ti­fier une déci­sion sans consul­ter son chef puis­qu’il a direc­te­ment consul­té le direc­teur géné­ral. Ce der­nier peut éga­le­ment don­ner une ins­truc­tion directe à un subal­terne sans pas­ser par les éche­lons intermédiaires.

Le middle mana­ge­ment a un poids rela­ti­ve­ment faible dans le pro­ces­sus de déci­sion, sa place n’est pas tou­jours confor­table. Outre la pres­sion de la hié­rar­chie, il est en plus sou­mis à une pres­sion venant du bas quel­que­fois plus redoutable.

La délégation

Elle est peu pra­ti­quée : le supé­rieur hié­rar­chique a peur de perdre le contrôle ou encore, d’être mis en « sustentation ».

La motivation

Pour déclen­cher la moti­va­tion, il faut que l’exé­cu­tant arrive à iden­ti­fier un inté­rêt réel : une récom­pense finan­cière, l’ob­ten­tion d’une pro­mo­tion ou d’une for­ma­tion, l’adhé­sion au par­ti, etc. La moti­va­tion sera encore plus forte si, en plus, il y a une forme de plai­sir asso­ciée à la tâche. Par contre, offrir une plus grande res­pon­sa­bi­li­té n’est pas néces­sai­re­ment moti­vant, il y a là la peur de mal faire, ce qui ferait perdre la face.

L’évaluation

Elle est à double sens : la hié­rar­chie éva­lue les col­la­bo­ra­teurs et les col­la­bo­ra­teurs éva­luent leur chef.

La promotion

Elle n’est pas néces­sai­re­ment basée sur la com­pé­tence mais sur la capa­ci­té d’être bien vu par les éche­lons infé­rieurs et donc par la capa­ci­té de ras­sem­bler. Ce qui peut être pervers.

La sanction

L’employé com­met­tant une faute n’est pas en soi sys­té­ma­ti­que­ment sanc­tion­né, le supé­rieur hié­rar­chique s’en porte quel­que­fois res­pon­sable pour mon­trer son sens de pro­tec­tion. Il est sou­vent plus impor­tant de réduire rapi­de­ment les consé­quences néga­tives d’une faute afin de ne pas faire perdre davan­tage la face de l’en­tre­prise en même temps que celle de l’employé concer­né. Le trai­te­ment d’une sanc­tion n’est pas tou­jours ren­du public.

À l’in­verse, il arrive aus­si qu’une sanc­tion fasse l’ob­jet d’une sur­com­mu­ni­ca­tion au per­son­nel. Dans ce cas, la direc­tion veut pas­ser un mes­sage clair sur une dérive non sou­hai­tée, elle tire la son­nette d’a­larme en sacri­fiant la face d’un fau­tif, c’est une action préventive.

La faveur

Pra­tique cou­rante, un col­lègue qui offre une faveur à un autre col­lègue attend en retour un ser­vice, le supé­rieur qui offre une faveur à un subal­terne (par exemple offrir une for­ma­tion) attend une plus grande fidé­li­té de celui-ci. Cela peut aller jus­qu’à une forme d’ex­ploi­ta­tion sentimentale.

La confiance en l’autre

Elle est sou­vent liée à un besoin du moment, elle est donc sou­vent tem­po­raire. Lorsque ce besoin dis­pa­raît, dis­pa­raît aus­si la confiance qu’on a pu por­ter à l’autre… et les chances de l’autre d’es­pé­rer une faveur en retour.

La confiance reste par contre réelle, voire éter­nelle, dans une rela­tion à l’in­té­rieur d’une famille.

3. Vers un management moderne aux caractéristiques chinoises

Ce tour d’ho­ri­zon dans une entre­prise chi­noise a per­mis de mieux appré­cier l’es­sen­tiel du mana­ge­ment à la chi­noise et com­ment les valeurs de la culture chi­noise agissent sur le com­por­te­ment dans l’en­tre­prise. Nous pou­vons consta­ter qu’il existe de nom­breuses contra­dic­tions, voire d’in­com­pa­ti­bi­li­tés entre le mana­ge­ment moderne et la culture chinoise.

Mana­ge­ment moderne Culture chinoise
  • Sépa­ra­tion de la vie pro­fes­sion­nelle et de la vie privée
  • Délé­ga­tion, mana­ge­ment participatif
  • L’ac­cès à l’in­for­ma­tion est une nécessité
  • Le mana­ge­ment doit éga­le­ment pro­té­ger les inté­rêts des action­naires et des employés
  • Éva­lua­tion par la hiérarchie
  • Com­mu­ni­ca­tion écrite, formelle
  • L’en­tre­prise est la famille
  • Mana­ge­ment ver­ti­cal, le direc­teur géné­ral contrôle tout
  • L’ac­cès à l’in­for­ma­tion est une faveur
  • Le mana­ge­ment doit se pré­oc­cu­per d’a­bord des inté­rêts du personnel
  • Impor­tance de l’o­pi­nion des éche­lons infé­rieurs pour éva­luer la hiérarchie
  • Com­mu­ni­ca­tion ver­bale, suggestive

L’ex­pé­rience d’une socié­té com­mune entre Chi­nois et Occi­den­taux res­semble à une belle aven­ture car il s’a­git de gref­fer, et non pas de créer, un sys­tème de valeurs du mana­ge­ment moderne à un sys­tème de valeurs exis­tantes dans le per­son­nel appor­té par le par­te­naire chinois.

À par­tir de l’ex­pé­rience de Saur Inter­na­tio­nal à Har­bin et à Shan­ghai, deux types de valeurs ajou­tées doivent être appor­tés par le par­te­naire étran­ger dans une opé­ra­tion de socié­té commune :

  • des valeurs « non négo­ciables » : objec­tif de pro­fit, trans­pa­rence des comptes, qua­li­té de pro­duit, pro­tec­tion des inté­rêts des action­naires, etc. C’est l’ac­tion au niveau du conseil d’administration ;
  • des valeurs mana­gé­riales : le res­pect de pro­cé­dures, la délé­ga­tion, la bonne cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion, la tenue des réunions régu­lières et la pro­duc­tion des comptes ren­dus, l’in­ter­face avec les action­naires, etc. C’est l’ac­tion au quo­ti­dien au niveau d’une direc­tion géné­rale sino-fran­çaise intégrée.


Par ailleurs, n’i­gno­rons pas l’é­vo­lu­tion rapide de la socié­té chi­noise et son inci­dence sur le mana­ge­ment de l’entreprise :

  • mise en faillite des entre­prises d’É­tat, le cri­tère de pro­fit devient la règle,
  • appa­ri­tion des chô­meurs, dimi­nu­tion voire dis­pa­ri­tion du rôle de l’en­tre­prise protectrice,
  • nais­sance d’en­tre­prises pri­vées qui ont ten­dance à pra­ti­quer un capi­ta­lisme sau­vage et accen­tua­tion par le fait que le pays n’est pas un État de droit,
  • ato­mi­sa­tion de la famille, l’in­di­vi­du doit sor­tir encore plus de son cocon familial,
  • aug­men­ta­tion de la liber­té indi­vi­duelle, appa­ri­tion de la classe moyenne, ce qui devrait favo­ri­ser un middle mana­ge­ment moins effacé.


Tout ce grand bou­le­ver­se­ment que la socié­té chi­noise est en train de vivre pro­fi­te­ra cer­tai­ne­ment aux plus talen­tueux qui sau­ront asso­cier avan­ta­geu­se­ment les valeurs de la culture chi­noise au concept du mana­ge­ment moderne. 

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