Créer de la valeur pour les actionnaires

Dossier : Les consultantsMagazine N°539 Novembre 1998
Par Clare CHATFIELD
Par Pierre GALLIX

Le suc­cès d’une entre­prise se tra­duit par sa capa­ci­té à créer de la valeur pour ses action­naires. De plus en plus de socié­tés recon­naissent la vali­di­té de ce prin­cipe, même si sa mise en œuvre dans cer­tains pays, comme la France, en est encore à ses bal­bu­tie­ments. En fait, la ges­tion par la valeur action­na­riale ne doit pas seule­ment être un des objec­tifs de l’en­tre­prise, mais l’axe cen­tral de sa politique.

Principes

La créa­tion de VA passe par dif­fé­rentes étapes, pour les­quelles l’ac­com­pa­gne­ment par un cabi­net exté­rieur spé­cia­li­sé s’a­vère sou­vent néces­saire. Quelques prin­cipes simples peuvent être retenus.

1. L’estimation de la valeur actionnariale d’une entreprise implique d’avoir une vision à long terme

L’ap­proche – qui repose sur les pré­vi­sions de cash-flows actua­li­sés – intègre par sa nature même les pers­pec­tives à long terme de l’en­tre­prise, comme le démontre la forte cor­ré­la­tion entre la capi­ta­li­sa­tion bour­sière et la valeur des cash-flows actualisés.

Les ana­lystes char­gés d’es­ti­mer la valeur des actions d’une entre­prise uti­lisent (entre autres) la méthode des cash-flows actua­li­sés, qui tient compte à la fois des évé­ne­ments affec­tant l’en­tre­prise à court terme, mais aus­si des déve­lop­pe­ments à long terme créa­teurs ou des­truc­teurs de valeur.

C’est ain­si que dans des sec­teurs répu­tés d’a­ve­nir, des socié­tés qui n’ont à pro­po­ser à leurs action­naires que des pertes à court terme mais des pers­pec­tives pro­met­teuses à long terme peuvent atteindre en quelques jours des capi­ta­li­sa­tions bour­sières impres­sion­nantes (bio­tech­no­lo­gies, software).

2. Les sociétés les plus créatrices de valeur ont aussi les clients les plus fidèles et les employés les plus motivés

Ce sont des employés moti­vés et per­for­mants qui créent de la valeur pour les clients et les actionnaires.

Les socié­tés dont l’u­nique objec­tif est de réduire leur masse sala­riale, d’ex­ploi­ter au maxi­mum une main-d’œuvre peu qua­li­fiée et sous-payée ne sont pas les mieux pla­cées dans la course à la créa­tion de valeur actionnariale.

Si le client n’est pas satis­fait, il n’y a pas d’af­faires… et pas de créa­tion de valeur. Pour toute entre­prise dans un sec­teur concur­ren­tiel, il est pos­sible d’ef­fec­tuer un com­pro­mis fruc­tueux qui maxi­mi­se­ra à la fois valeur pour l’ac­tion­naire et valeur pour les clients.

3. Les outils traditionnels d’analyse sont trompeurs et peuvent mener à des décisions d’investissement erronées

Les approches tra­di­tion­nelles, basées sur des indi­ca­teurs comp­tables (marge d’ex­ploi­ta­tion, ren­ta­bi­li­té des capi­taux propres, crois­sance du béné­fice par action…), sont faci­le­ment mani­pu­lables et peu fiables pour la prise de déci­sions mana­gé­riales. L’ap­proche par la valeur action­na­riale prend en compte tous les flux finan­ciers et les risques liés au sec­teur, au mar­ché et à la struc­ture finan­cière de la société.

4. La mise en œuvre d’une approche de gestion par la valeur ne doit pas être du ressort exclusif de quelques initiés

Ce qui est néces­saire, c’est la convic­tion et l’en­thou­siasme par­ta­gés à tous les niveaux de l’entreprise.

Par­fois, alors même que la créa­tion de VA est défi­nie comme le but à atteindre, sa mise en œuvre appa­raît comme un obs­tacle infran­chis­sable. Pour­tant, la ges­tion par la valeur action­na­riale n’est pas par­ti­cu­liè­re­ment complexe :

  • les concepts finan­ciers relèvent de la théo­rie clas­sique. Le prin­ci­pal apport de la VA est que les impli­ca­tions de ces concepts sont appli­quées à l’or­ga­ni­sa­tion dans son ensemble ;
  • la mise en œuvre est logique et relève du bon sens : cal­cu­ler la valeur de l’en­tre­prise, com­prendre ce qui déter­mine cette valeur, mettre en place un sys­tème pour s’as­su­rer que la créa­tion de valeur soit véri­ta­ble­ment au rendez-vous.


En revanche, la réus­site du pro­ces­sus repose sur une moti­va­tion sans faille des plus hauts éche­lons de la hié­rar­chie de l’en­tre­prise, garan­tis­sant au pro­jet la prio­ri­té suf­fi­sante pour l’al­lo­ca­tion des res­sources internes nécessaires.

Les objec­tifs, le plan­ning et les résul­tats escomp­tés doivent être défi­nis avec soin, avant de s’ac­com­pa­gner d’un impor­tant pro­gramme en vue d’é­du­quer tous les niveaux hié­rar­chiques sur les béné­fices et les consé­quences d’une telle approche. Il faut impli­quer dès le départ les uni­tés opé­ra­tion­nelles dans le pro­ces­sus, et ins­ti­tu­tion­na­li­ser la créa­tion de valeur comme la pierre angu­laire de toute pla­ni­fi­ca­tion et de toute prise de décision.

Mise en œuvre

1. Révision du plan stratégique existant

Il faut pro­cé­der en pre­mier lieu à l’a­na­lyse de la struc­ture de l’in­dus­trie et de la posi­tion concur­ren­tielle de la socié­té. Les hypo­thèses d’é­va­lua­tion par la méthode des cash-flows actua­li­sés sont ensuite dis­cu­tées avec le mana­ge­ment (période de créa­tion de valeur, coût du capi­tal, valeur ter­mi­nale…). À par­tir de ces élé­ments, le plan stra­té­gique est alors ana­ly­sé en détail puis validé.

2. Identification des déterminants de la valeur pour chaque activité principale de l’entreprise et création des modèles appropriés afin de tester leur impact

La valeur totale est décom­po­sée en une « carte rou­tière éco­no­mique » qui va aider le mana­ge­ment à mieux com­prendre ce qui déter­mine réel­le­ment la valeur à chaque niveau de l’organisation.

Les fac­teurs de créa­tion de valeur qui ont un impact signi­fi­ca­tif et qui sont contrô­lables par le mana­ge­ment méritent le plus d’at­ten­tion et vont ser­vir de base pour fixer des objec­tifs chif­frés du busi­ness plan. D’autres fac­teurs de carac­tère plus exo­gène peuvent faire l’ob­jet d’une stra­té­gie de cou­ver­ture du risque ou devront être réexa­mi­nés dans le cadre d’un chan­ge­ment de stratégie.

3. Identification des indicateurs-clés de performance

Ce sont des mesures de la posi­tion stra­té­gique ou de la per­for­mance opé­ra­tion­nelle et elles vont varier selon le niveau, le rôle et les res­pon­sa­bi­li­tés des employés de la société.

Ces indi­ca­teurs-clés de per­for­mance répondent à cer­tains cri­tères : ils doivent avoir un lien direct avec le cash-flow et un impact signi­fi­ca­tif sur la valeur ; le mana­ge­ment doit pou­voir les influen­cer et ils doivent pou­voir être mesu­rés faci­le­ment et fréquemment.

Il devient ensuite pos­sible de juger les per­for­mances d’un employé sur des cri­tères de créa­tion de valeur, si l’en­tre­prise sou­haite baser sa poli­tique de rému­né­ra­tions avec les objec­tifs sui­vants : rétri­buer une bonne per­for­mance et non pas un « coup de chance », uti­li­ser une struc­ture com­mune appli­cable à toute l’en­tre­prise, encou­ra­ger sa cohé­sion, être réa­liste en termes de fixa­tion, de mesure et de sui­vi des indi­ca­teurs de performance.

Conclusion

La valeur action­na­riale n’est pas seule­ment un ins­tru­ment de mesure a pos­te­rio­ri des per­for­mances d’une entre­prise, mais un outil de pilo­tage stra­té­gique qui vient sou­vent com­plé­ter et enri­chir les pro­cé­dures habi­tuel­le­ment uti­li­sées. C’est ce qui peut frei­ner son adop­tion par les diri­geants qui craignent de ren­for­cer ain­si inuti­le­ment le contrôle interne… sans par­ler des pos­si­bi­li­tés accrues de lier les rému­né­ra­tions à la per­for­mance individuelle.

La roue tourne pour­tant inexo­ra­ble­ment, et la pres­sion des fonds de pen­sion anglo-saxons, très sol­li­ci­tés der­niè­re­ment, notam­ment dans la pri­va­ti­sa­tion de France Télé­com, pous­se­ra à la mise en place d’ou­tils de ges­tion par la valeur action­na­riale, pour le bien de tous : employés, clients et action­naires. Mais il est regret­table de consta­ter que ce que les entre­prises à capi­taux fami­liaux ont décou­vert empi­ri­que­ment tarde à éveiller l’at­ten­tion des diri­geants char­gés de gérer au mieux les inté­rêts de leurs actionnaires.

Poster un commentaire