Courrier des lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°615 Mai 2006

Lettre à La Jaune et la Rouge

L’ancien ministre de l’Éducation natio­nale, M. Luc Fer­ry, stig­ma­tise dans La Jaune et la Rouge (mars 2006, p. 20) La main à la pâte, cette opé­ra­tion de réno­va­tion de l’enseignement des sciences à l’école lan­cée par l’Académie des sciences et décrite dans le même numé­ro par l’un de nous (p. 42) et par Alexandre Moat­ti (p. 45).

C’est là par­fai­te­ment son droit et nous n’attendons pas que cha­cun suive l’Académie dans cette entre­prise. Mais son pro­pos, qui se résume dans l’injonction “ Au lieu de faire La main à la pâte, il faut faire des sciences ”, est par­ti­cu­liè­re­ment cocasse puisque c’est l’essence même de notre action que de faire faire de la science aux enfants, une science où s’imbriquent et s’organisent l’observation, l’expérimentation, l’argumentation et le rai­son­ne­ment, c’est-à-dire une science qui se fait et qui donc a des chances de se com­prendre, et de se mémo­ri­ser. Une science aus­si qui, au lieu d’instiller “ la sur­va­lo­ri­sa­tion de soi ” – autre blâme, étrange, de l’ancien Ministre –, mène au contraire l’enfant, gui­dé par le maître, à dou­ter de ses propres hypo­thèses et à tenir pour vrai non ce que l’on croit mais ce que, exté­rieur à soi, l’on voit et l’on mesure.

Bien plus que sur la sur­face et sur telle ou telle façon d’enseigner, c’est sur le fond que le pro­pos exprime toute une concep­tion où nous ne recon­nais­sons rien de ce que, pour nous, est la science. Et rien non plus de la pos­si­bi­li­té qu’elle a de modi­fier non seule­ment notre connais­sance du monde (ain­si de “la struc­ture de l’ADN ”, laquelle s’apprend et “ ne se met pas au vote ” iro­nise-t-il dans le vide) mais aus­si notre façon de rai­son­ner, notre com­por­te­ment et donc notre façon de vivre.

Nous répon­dons plus lon­gue­ment à M. Fer­ry à l’adresse sui­vante : www.mapmonde.org/tribune.

Georges CHARPAK,
Pierre LÉNA,
Yves QUÉRÉ

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À propos de la recension publiée dans La Jaune et la Rouge, n° 600, décembre 2004, du livre de Jules Leveugle La Relativité, Poincaré et Einstein, Planck, Hilbert – Histoire véridique de la Relativité (L’Harmattan, juillet 2004)

Connais­sant l’impressionnant tra­vail accom­pli par notre cama­rade, sa mois­son d’informations inédites bous­cu­lant bien des idées reçues, qu’il me soit per­mis d’user de cet espace de liber­té pour reve­nir sur un sujet ayant de longue date rete­nu mon atten­tion dans des cir­cons­tances que je crois d’abord utile de rappeler.

Notre revue, dans son numé­ro de mars 1994, avait publié, à l’occasion du Bicen­te­naire de l’X, un article de Jules Leveugle, sur la genèse de la Rela­ti­vi­té, qui avait alors sus­ci­té un vif inté­rêt, à en juger par l’abondance du cour­rier adres­sé (tant à l’auteur qu’à la Rédac­tion) et le débat ani­mé qui s’était ensuivi.

L’auteur y contes­tait la ver­sion “ ortho­doxe ” du “ génie soli­taire ”, “ du tra­vail d’Einstein sor­ti tout armé qu’aucune publi­ca­tion anté­rieure ne pré­pare… ”, si l’on suit Paty, his­to­rio­graphe scru­pu­leux d’Einstein, lequel conve­nait cepen­dant : “ La genèse de la Rela­ti­vi­té paraît entou­rée de mys­tère ” tan­dis qu’un autre his­to­rien, non moins admi­ra­tif (Mil­ler) mais plus cir­cons­pect, lais­sait pla­ner un doute : “ Il semble qu’il connais­sait avant de com­men­cer la forme cor­recte des équa­tions.

Notre cama­rade pas­sion­né d’Histoire des Sciences s’était donc livré dans notre revue à une étude com­pa­ra­tive minu­tieuse entre : d’un côté, l’article “ fon­da­teur ” d’Einstein publié en sep­tembre 1905 par les Anna­len der Phy­sic (à l’introuvable manus­crit faut-il le rap­pe­ler) de l’autre, la note anté­rieure du 5 juin de Poin­ca­ré, aus­si­tôt dif­fu­sée à ses cor­res­pon­dants étran­gers notam­ment allemands.

Cette confron­ta­tion inédite, non seule­ment révé­lait d’étranges simi­li­tudes, mais fai­sait soup­çon­ner la coopé­ra­tion, la “ patte ” de mathé­ma­ti­ciens aus­si exer­cés que ceux de Göt­tin­gen (dis­ci­pline alors mal maî­tri­sée par notre jeune phy­si­cien) c’était donc appa­rem­ment de ce côté, concluait Leveugle, que l’on avait les meilleures chances d’éclaicir ce “ mystère ”.

Encou­ra­gé à pour­suivre ses recherches, notre cama­rade s’était pla­cé dans la pers­pec­tive de 2005, “ année de la phy­sique ”, avec l’espoir que nos ins­ti­tu­tions scien­ti­fiques auraient à coeur de rendre enfin hom­mage à celui qui fut le plus grand “ méca­ni­cien ” de son temps, pion­nier injus­te­ment, trop long­temps mar­gi­na­li­sé, du grand bou­le­ver­se­ment que connaît la phy­sique à l’aube du XXe siècle.

Cet espoir de notre cama­rade visait, outre l’X enga­gée comme on sait dans une sévère com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale de pres­tige, l’Académie des sciences de Paris, déten­trice de la pré­cieuse note du 5 juin*, que plus d’un phy­si­cien* dans le monde consi­dère aujourd’hui (avec celle dite “ de Palerme ” du 23 juillet 2005) sur “ La dyna­mique de l’électron ”, comme les authen­tiques textes fon­da­teurs de la Rela­ti­vi­té res­treinte, indis­so­ciables et dans la fou­lée de son “ Prin­cipe de Rela­ti­vi­té ” for­mu­lé en sep­tembre 1904 à Saint Louis (USA) (évo­qué à l’occasion du Cen­te­naire de cet évé­ne­ment dans le numé­ro de sep­tembre 2004 de La Jaune et la Rouge).

N’en déplo­rons pas moins la per­sis­tance d’une mécon­nais­sance qua­si géné­rale (quand ce n’est pas de dédain) de Poin­ca­ré-phy­si­cien par­mi ses pairs.

* Par­mi les témoi­gnages d’admiration voire de stu­pé­fac­tion dans la redé­cou­verte de “Poin­ca­ré-phy­si­cien” depuis quelques décen­nies, on ne sau­rait trop recom­man­der à nos “spé­cia­listes” (j’en ai eu l’occasion, mais sans être enten­du appa­rem­ment) de relire ces textes à la lumière de leur repu­bli­ca­tion en Rus­sie en 1984, assor­tie de com­men­taires appro­priés (tra­duits en anglais en 1985, réédi­tés depuis à trois reprises, dis­po­nibles aus­si en fran­çais depuis 2000 grâce à notre cama­rade Chris­tian Marchal).
L’auteur de ce tra­vail de relec­ture, le phy­si­cien-aca­dé­mi­cien Ana­to­ly Logu­nov (alors direc­teur de l’Institut des hautes éner­gies de Prov­ti­no) a pris soin en effet de réac­tua­li­ser les textes de Poin­ca­ré en lan­gage mathé­ma­tique moderne (comme cela a été fait depuis long­temps pour ceux d’Einstein).
Il dis­sipe les cri­tiques tota­le­ment infon­dées adres­sées à Poin­ca­ré (il n’aurait pas fait le pas déci­sif, etc.). Logu­nov est for­mel : Poin­ca­ré est le véri­table “ pion­nier ” de la Relativité.

Pour­quoi, com­ment, dans quelles cir­cons­tances his­to­riques, ses tra­vaux, pour­tant d’un inté­rêt majeur, ontils été occul­tés, puis “ sno­bés ”, défi­gu­rés ? C’est ce qu’a vou­lu com­prendre Leveugle.

Il lui a fal­lu pour cela chan­ger d’horizon d’observation, péné­trer au plus intime de la scène scien­ti­fique de cette époque pion­nière… explo­rer le “ jeu ” de ses acteurs et… les “ cou­lisses de l’exploit ” que fut cette découverte.

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Ano­nymerépondre
26 avril 2014 à 12 h 58 min

dans : » À pro­pos de la
dans : » À pro­pos de la recen­sion publiée dans La Jaune et la Rouge, n° 600, décembre 2004, du livre de Jules Leveugle La Rela­ti­vi­té, Poin­ca­ré et Ein­stein, Planck, Hil­bert – His­toire véri­dique de la Rela­ti­vi­té (L’Harmattan, juillet 2004) »

7ème para­graphe, 3ème ligne, le manus­crit de Palerme est pro­ba­ble­ment dans l’an­née 1905, pas 2005. 

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