Courir au large : une profession et une passion

Dossier : La passion de la merMagazine N°646 Juin 2009
Par Marine FEUERSTEIN

Le 9 novembre 2008, ils sont trente à emprun­ter le long che­nal du port des Sables-d’O­lonne. Pour les trente marins du Ven­dée Globe, il s’a­git bien de plai­sance. Ce sont des plai­san­ciers. Oui ! Mais des pro­fes­sion­nels. Pro­fes­sion­nel, il faut l’être pour entre­prendre un Ven­dée Globe, une Soli­taire du Figa­ro ou une Tran­sat 6,50.

On peut perdre une course pour un élas­tique mal tendu

Si tous les par­ti­ci­pants ne touchent pas de rému­né­ra­tion pour cette acti­vi­té, tous se doivent d’y consa­crer du temps et l’exi­gence de ces épreuves impose d’a­voir une démarche pro­fes­sion­nelle, métho­dique et struc­tu­rée. Par ses aspects sau­vages et sou­vent impré­vi­sibles, l’en­vi­ron­ne­ment marin exige une minu­tie et une rigueur sans les­quelles il est impos­sible de pré­tendre à la vic­toire, voire même de ter­mi­ner les courses. La résis­tance d’une chaîne étant celle de son maillon le plus faible, le soin appor­té à chaque détail de la pré­pa­ra­tion du marin ou de son embar­ca­tion est cru­cial. On peut perdre une course pour un élas­tique mal ten­du, une sou­dure oxy­dée ou une latte mal ajus­tée, si tou­te­fois ces dys­fonc­tion­ne­ments ne sont pas trai­tés au moment adéquat.

Marine Feuer­stein
Fille de Didier Feuer­stein (65), elle navigue depuis 2005 dans la série des Mini 650 et a par­cou­ru depuis cette date plus de 7000 milles en course, dont un aller retour vers les Açores en soli­taire. Le 19 sep­tembre pro­chain, elle pren­dra le départ de la Tran­sat 6,50, une course au départ de La Rochelle et à des­ti­na­tion de Sal­va­dor de Bahia. À tra­vers son blog, elle relate ses expé­riences de course au large www.marinefeuerstein.canalblog.com.
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Une exigence totale

Comme dans toute dis­ci­pline, la per­for­mance est liée à la qua­li­té de la pré­pa­ra­tion, au temps et aux moyens que l’on peut lui consa­crer. Anti­ci­per la concep­tion et la construc­tion d’un bateau, le tes­ter et l’op­ti­mi­ser en condi­tions de course, fait par­tie des prin­ci­paux fac­teurs clés de suc­cès de ce sport méca­nique. L’a­van­cée tech­no­lo­gique se paye cher et il n’est pas rare qu’un bateau de der­nière géné­ra­tion soit à la peine der­rière des bateaux plus anciens, moins per­for­mants mais fiables. La per­ti­nence d’un pro­jet réside donc dans le com­pro­mis inno­va­tion tech­no­lo­gique-fia­bi­li­té, com­pro­mis par ailleurs lar­ge­ment déter­mi­né par les moyens finan­ciers et humains que l’on peut lui dédier. Si les équipes de pré­pa­ra­tion des pro­jets en soli­taire sont res­treintes, la coupe de l’A­me­ri­ca et la Vol­vo Ocean Race pré­sentent des modèles de ges­tion d’é­quipes. L’é­quipe de Team New Zea­land en 2000, tout autant que celle d’Alin­ghi en 2003, a sou­li­gné l’o­ri­gi­na­li­té et la per­for­mance de sa méthode de ges­tion de pro­jets lors de sa vic­toire en finale de la coupe de l’A­me­ri­ca. La vic­toire étant alors autant attri­buée aux équipes sup­port qu’aux équipes navigantes.

La richesse des pro­jets de course à la voile réside dans la diver­si­té des com­pé­tences et des corps de métier qu’ils sol­li­citent. Archi­tectes navals, construc­teurs, voi­liers, gréeurs, gabiers, élec­tro­ni­ciens, infor­ma­ti­ciens, élec­tri­ciens, méca­ni­ciens, météo­ro­logues, rou­teurs, méde­cins, char­gés de com­mu­ni­ca­tion, pré­pa­ra­teurs (phy­sique et men­tal) ain­si que chefs de pro­jet par­ti­cipent à ces cam­pagnes sui­vant leur ampleur. Dans le cas d’une navi­ga­tion en équi­page au large, chaque navi­gant a par ailleurs la res­pon­sa­bi­li­té de l’un de ces corps de métier.

Le soli­taire doit, quant à lui, maî­tri­ser tout ou par­tie de ces compétences.

L’exaltation de la course

Lorsque le cou­reur a enfin satis­fait à toutes les exi­gences de sa pré­pa­ra­tion, il reste le plai­sir de navi­guer. Mieux : de réga­ter. La course à la voile, sur­tout en soli­taire, est l’une des acti­vi­tés les plus exal­tantes qui soient.

La mer reflète les apti­tudes per­son­nelles de ceux qui s’aventurent à la par­cou­rir. Gar­der son calme et sa maî­trise dans un coup de vent ou un grand calme, être capable d’adapter son com­por­te­ment aux évo­lu­tions de la météo est une belle expé­rience de liber­té. Il faut du cou­rage pour tenir tête à la mer qui se forme et main­te­nir la toile lorsque le vent monte. Par­fois la concen­tra­tion est telle qu’il devient dif­fi­cile de dor­mir, de man­ger et même de res­pi­rer. Un ins­tant d’inattention et le bateau se met en tra­vers d’une vague puis part au lof. Le spi claque, se gonfle puis se dégonfle en impri­mant de vio­lentes secousses au grée­ment. Il faut remettre le bateau droit, rebor­der son écoute puis reprendre la barre pour négo­cier les vagues et les sur­ventes. Encore et encore. Jusqu’à ce que le vent tombe. Jusqu’à ce que la mer se calme. Jusqu’à ce que l’on passe la ligne d’arrivée.

Il faut aller au bout et ne rien lâcher, mal­gré la fatigue et son lot d’hallucinations, mal­gré le décou­ra­ge­ment et l’angoisse omni­pré­sente. Cou­rir au large, c’est être com­pé­ti­teur jusqu’au bout des doigts. C’est dor­mir com­pé­ti­tion, se lever com­pé­ti­tion, man­ger com­pé­ti­tion, vivre compétition.

Des jouets magnifiques

Pay­sages de mer
Qu’il s’agisse d’une lueur éva­nes­cente sur la mer, d’un ciel qui se couvre et devient noir ou d’une vaste com­po­si­tion de nuages s’acheminant sans bruit, les pay­sages de mer sont per­çus avec d’autant plus de pro­fon­deur et d’intensité qu’ils sont dif­fi­ci­le­ment acces­sibles. « Seul spec­ta­teur dans la salle du monde », le marin soli­taire éprouve des joies exclu­sives. Tous les jours, le soleil se couche pour lui seul et il prend la pleine mesure du monde, soit subis­sant les assauts de la tem­pête qui se lève, soit pro­fi­tant de la dou­ceur d’une petite brise. Éclats d’écume, fra­cas des vagues, ner­vures du vent sur la mer res­tent gra­vés dans la mémoire du marin qui se souvient.

Enfin, la régate est un jeu et les bateaux de course des jouets magni­fiques. Ner­veux, puis­sants, aus­si prompts à sur­fer dans de larges gerbes d’écume qu’à glis­ser, sans bruit, sur une mer d’huile, ils offrent des joies incom­pa­rables pour qui maî­trise leurs sub­ti­li­tés. Les grand-voiles à corne, quilles pen­du­laires, safrans rele­vables et autres bouts-dehors orien­tables per­mettent aux bateaux d’être per­for­mants et marins dans tous types de condi­tions. Au plai­sir de la navi­ga­tion s’ajoute celui de la stra­té­gie. Dans la plus grande cour de récréa­tion du monde, il faut tra­cer son che­min et jouer au mieux de l’évolution de la météo. Ana­lyses, inter­pré­ta­tions et conjec­tures se conjuguent donc au quo­ti­dien avec les manoeuvres. Blot­ti devant ses ins­tru­ments, le marin attend impa­tiem­ment les der­nières pré­vi­sions météo.

Ce n’est pas rien que de s’attaquer à l’océan !

Lorsque l’information arrive, il estime l’impact sur la marche de son bateau. Son pla­ce­ment est-il opti­mal ? Doit-il reca­drer sa route ? Un autre concur­rent, jusqu’ici jugé inof­fen­sif, peut-il se révé­ler dan­ge­reux du fait de ces nou­velles prévisions ?

Les diag­nos­tics sur la météo, la peur de s’être trom­pé et de voir ses efforts anéan­tis par une météo défa­vo­rable occupent sans cesse l’esprit du marin.

La course au large est une acti­vi­té dif­fi­cile et par­fois ingrate. Ce n’est pas rien que de s’attaquer à l’océan ! Cepen­dant, c’est une acti­vi­té d’êtres libres et res­pon­sables. L’estime de soi, et celle des autres, mérite bien que l’on souffre de l’humidité et du manque de sommeil !

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