Climat et énergies fossiles : des échéances communes pour des actions nécessaires

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Hervé LE TREUT
Par Bernard ROGEAUX
Par Pierre-René BAUQUIS

Les données et les incertitudes du changement climatique

Les données et les incertitudes du changement climatique

Le rôle pos­sible des actions humaines sur le cli­mat, via l’aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre, est un thème ancien, que l’on fait sou­vent remon­ter aux anti­ci­pa­tions du prix Nobel de Chi­mie Svante Arrhe­nius au début du XXe siècle. Mais c’est en fait beau­coup plus tard, à par­tir de l’An­née Géo­phy­sique Inter­na­tio­nale en 1957, que les mesures sys­té­ma­tiques du pro­fes­seur Kee­ling vont four­nir les preuves d’une aug­men­ta­tion réelle du niveau atmo­sphé­rique en dioxyde de car­bone (CO2). Nous sommes alors dans une phase d’é­vo­lu­tion extrê­me­ment rapide des émis­sions de gaz à effet de serre : dans les années cin­quante les émis­sions de car­bone sont de 2 mil­liards de tonnes (Mt) par an, contre 7 à 8 Mt aujourd’­hui. En quelques décen­nies la teneur atmo­sphé­rique en CO2 va aug­men­ter de plus de 30 %. Le méthane, l’oxyde nitreux, l’o­zone et cer­tains fréons subissent aus­si une évo­lu­tion très rapide.

Cette per­tur­ba­tion sur­vient à un moment très par­ti­cu­lier de l’his­toire de notre pla­nète, après cinq mille à dix mille ans d’un cli­mat très stable, d’une sta­bi­li­té inéga­lée au cours des 2 mil­lions d’an­nées de l’ère Qua­ter­naire. Nos civi­li­sa­tions se sont en effet déve­lop­pées durant un âge inter­gla­ciaire par­ti­cu­liè­re­ment long, dont nous savons que les condi­tions astro­no­miques qui ont contri­bué à le mettre en place se pour­sui­vront pen­dant plu­sieurs mil­liers d’an­nées encore. Bien sûr cet équi­libre pré­in­dus­triel n’é­tait pas par­fait : le der­nier mil­lé­naire est mar­qué par un réchauf­fe­ment appe­lé « opti­mum médié­val », sui­vi du refroi­dis­se­ment dit du « petit âge de glace », cer­tai­ne­ment asso­cié à des modi­fi­ca­tions de l’in­so­la­tion. Mais ces fluc­tua­tions natu­relles sont de l’ordre de quelques dixièmes de degré, en moyenne glo­bale, alors que l’aug­men­ta­tion des gaz à effet de serre est sus­cep­tible de créer des per­tur­ba­tions beau­coup plus fortes, de plu­sieurs degrés, qui rap­pellent plu­tôt par leur ampli­tude les écarts de 5 à 6 °C qui carac­té­risent la dif­fé­rence entre cli­mats gla­ciaires et interglaciaires.

Ce pro­ces­sus de rup­ture très rapide et très récente d’un équi­libre (ou qua­si-équi­libre) mil­lé­naire a des consé­quences très impor­tantes, que l’on ne peut com­prendre sans détailler les fac­teurs d’i­ner­tie très nom­breux qui existent dans les dif­fé­rentes com­po­santes de notre envi­ron­ne­ment glo­bal. Le CO2 émis par les acti­vi­tés humaines, par exemple, est repris pour par­tie par les puits natu­rels que sont la végé­ta­tion natu­relle et les océans, mais la part res­tante (actuel­le­ment : la moi­tié envi­ron) est sus­cep­tible de res­ter un siècle dans l’at­mo­sphère. La durée de vie des autres gaz à effet de serre varie aus­si de quelques années à quelques cen­taines d’an­nées. Les émis­sions de la fin du ving­tième siècle et du début du vingt-et-unième siècle sont donc encore bien pré­sentes dans l’at­mo­sphère, et elles sont sus­cep­tibles de conti­nuer à agir sur le cli­mat au cours des décen­nies à venir. La res­pon­sa­bi­li­té des pays émet­teurs, en pre­mier lieu les pays occi­den­taux, est donc enga­gée à long terme.

Ceci est d’au­tant plus vrai que l’i­ner­tie liée à la durée de vie atmo­sphé­rique des gaz à effets de serre n’est pas seule en jeu : il s’y ajoute une iner­tie du sys­tème cli­ma­tique lui-même, dont les dif­fé­rentes com­po­santes vont réagir à des échelles de temps très variées au chauf­fage pro­vo­qué par l’ef­fet de serre addi­tion­nel. L’at­mo­sphère, une par­tie des sur­faces conti­nen­tales, ou encore la ban­quise qui recouvre l’Arc­tique ont une réac­tion très rapide, qui se mani­feste par exemple par un cycle sai­son­nier très mar­qué, en réponse aux fluc­tua­tions d’en­so­leille­ment. La vapeur d’eau atmo­sphé­rique, par exemple, agit comme un fac­teur d’am­pli­fi­ca­tion presque ins­tan­ta­né des varia­tions climatiques.

L’o­céan, lui, se divise en deux par­ties. L’o­céan de sur­face, une couche de cin­quante mètres de pro­fon­deur en moyenne, consti­tue le véri­table ther­mo­stat de notre sys­tème cli­ma­tique. Son temps de réac­tion est de quelques décen­nies, ce qui explique à la fois que, d’une part, les pre­miers symp­tômes clai­re­ment iden­ti­fiables de la réponse cli­ma­tique à l’aug­men­ta­tion bru­tale des gaz à effet de serre (qui com­mence dans les années cin­quante) sont appa­rus tar­di­ve­ment, dans les années quatre-vingt-dix, mais aus­si, d’autre part, que les mesures de réduc­tion des gaz à effet de serre que nous pren­drons, ne modi­fie­ront l’é­vo­lu­tion des tem­pé­ra­ture de sur­face de la pla­nète qu’a­vec un délai iden­tique de quelques décen­nies. L’o­céan plus pro­fond, les grands gla­ciers conti­nen­taux comme le Groën­land, les éco­sys­tèmes com­plexes tels que les grands mas­sifs fores­tiers, ont un temps de réac­tion encore plus lent, de l’ordre de quelques siècles.

Le relè­ve­ment du niveau de la mer, que les modèles situent dans une four­chette de 20 à 50 cm en 2100, à laquelle il faut rajou­ter la part de fonte éven­tuelle du Groen­land, encore impos­sible à chif­frer, n’est sans doute que mar­gi­na­le­ment modi­fiable à cette échelle de temps, parce qu’il est condi­tion­né par des pro­ces­sus lents tels que la pro­gres­sion du réchauf­fe­ment vers le fond des océans (qui pro­voque leur dila­ta­tion) ou par la fonte des grands gla­ciers de mon­tagne – les mesures que nous devons prendre dès main­te­nant nous pro­té­ge­ront d’é­vo­lu­tions plus graves pen­dant les siècles prochains.

Les effets de seuil et les risques associés à la non-linéarité du système climatique

À ces iner­ties variées, le sys­tème cli­ma­tique natu­rel ajoute une par­ti­cu­la­ri­té dan­ge­reuse : c’est un sys­tème non-linéaire, sus­cep­tible d’é­vo­lu­tion rapide au-delà de cer­tains seuils. Cette part des évo­lu­tions cli­ma­tiques est à la fois la plus dif­fi­cile à appré­hen­der scien­ti­fi­que­ment, mais aus­si poten­tiel­le­ment la plus riche de consé­quences pour les éco­sys­tèmes natu­rels comme les socié­tés humaines. C’est ain­si que la valeur approxi­ma­tive de 2 °C de réchauf­fe­ment glo­bal a été déter­mi­née comme un seuil de dan­ger au-delà duquel il est pos­sible d’a­voir des impacts deve­nant beau­coup plus forts sur la mor­ta­li­té des éco­sys­tèmes, la sta­bi­li­té des cou­rants ou des calottes glaciaires.

Champs de pétrole près de Bakers­field en Cali­for­nie, États-Unis (35°22′ N – 119°01′ O)

Le pétrole cali­for­nien est vis­queux et lourd, comme du gou­dron. Avant de le pom­per, il faut le chauf­fer et le flui­di­fier en injec­tant de la vapeur d’eau dans le puits, ce qui consomme une eau déjà rare dans la région. Cette tech­nique est coû­teuse, mais les États-Unis ne peuvent se pas­ser de telles réserves. S’ils sont le deuxième pays pro­duc­teur de pétrole après l’Arabie Saou­dite, ils en sont aus­si le pre­mier impor­ta­teur. De façon plus géné­rale, l’ensemble des pays déve­lop­pés dépendent de cet hydro­car­bure, notam­ment pour le trans­port et l’industrie plas­tique. Or, aujourd’hui, la quan­ti­té de pétrole res­tante équi­vaut à peu près à ce que nous avons déjà brû­lé ou trans­for­mé. Le pétrole sera donc tou­jours plus dif­fi­ci­le­ment exploi­table, c’est-à-dire tou­jours plus rare et plus cher. C’est pour­quoi il est indis­pen­sable de diver­si­fier les sources d’énergie en favo­ri­sant les éner­gies de type renou­ve­lable, tels l’éolien, le solaire ou la géothermie.


Il faut prendre ce seuil de 2 °C comme une petite lampe rouge, un signal de dan­ger qui s’al­lume pour dire que l’on entre dans un monde qui est très dif­fé­rent du nôtre, et dans lequel auront lieu des évo­lu­tions que nous ne sommes pas encore mesure d’an­ti­ci­per de manière détaillée. L’exa­men scien­ti­fique atten­tif du début de chan­ge­ment cli­ma­tique actuel est cru­cial si l’on veut pou­voir anti­ci­per les évo­lu­tions plus impor­tantes et plus rapides qui nous attendent dans le futur : fra­gi­li­sa­tion des zones côtières par une mon­tée accé­lé­rée du niveau de la mer, modi­fi­ca­tion rapide des aires géo­gra­phiques adap­tées à cer­tains types de végé­ta­tions ou d’a­ni­maux, y com­pris les insectes vec­teurs de mala­die, modi­fi­ca­tion des fré­quences d’é­vé­ne­ment extrêmes, qu’il s’a­gisse de cyclones plus intenses ou de séche­resses récurrentes.


Actuel­le­ment tous les scé­na­rios d’é­mis­sion envi­sa­gés par le GIEC nous conduisent au-delà de ce seuil de 2 °C. Il ne faut donc pas sta­bi­li­ser, mais bien réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre, et le faire dès les pre­mières décen­nies de ce siècle si l’on veut main­te­nir la part du réchauf­fe­ment glo­bal à laquelle nous devrons de toute façon nous adap­ter en deçà d’un niveau que nous pour­rons effec­ti­ve­ment gérer.

La raréfaction des ressources en énergies fossiles : mythes et réalités

Le long chemin de la cacophonie vers la symphonie

Lors­qu’on écoute des spé­cia­listes par­ler des res­sources et des réserves de pétrole, de gaz natu­rel, mais aus­si de char­bon, il s’en dégage une impres­sion de caco­pho­nie. Com­ment des per­sonnes ou orga­nismes a prio­ri com­pé­tents dans les diverses dis­ci­plines (géo­lo­gie, éco­no­mie), qui concourent a éla­bo­rer une vision sur les futures pro­duc­tions des diverses éner­gies fos­siles, peuvent-ils à ce point diver­ger dans leurs opi­nions ? Peut-on espé­rer une cer­taine har­mo­ni­sa­tion de celles-ci, à défaut d’eu­pho­nie, et a quel horizon ?

Avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, la ques­tion pétro­lière est pour­tant une ques­tion essen­tielle pour nos socié­tés : pour­rions-nous gérer sans vio­lence une éven­tuelle pénu­rie mal anti­ci­pée de cette res­source si dif­fi­cile à rem­pla­cer qu’est le pétrole ?

Quar­tier nord-ouest de La Nou­velle-Orléans près du lac Pont­char­train, après le pas­sage de l’ou­ra­gan Katri­na, Loui­siane, États-Unis (30°00′ N – 90°05′ O).

Les toits dépassent à peine de ce mélange d’eaux usées, d’es­sence et de pro­duits chi­miques dans lequel les bac­té­ries se déve­loppent d’au­tant mieux que les tem­pé­ra­tures dépassent 30 °C dans la jour­née. Le 29 août 2005, l’ou­ra­gan Katri­na, de force 4 sur une échelle de 5, s’est abat­tu sur les côtes amé­ri­caines du golfe du Mexique. Sous la force des vents (plus de 200 km/h), les vagues ont sub­mer­gé les digues de pro­tec­tion qui ont rom­pu à de nom­breux endroits, lais­sant la ville inon­dée à plus de 80 %. Plu­sieurs dizaines de mil­liers de per­sonnes sont res­tées pri­son­nières des flots, en par­ti­cu­lier la popu­la­tion pauvre (30 % des habi­tants) qui n’a­vait pas tou­jours la pos­si­bi­li­té de quit­ter la région. La catas­trophe était pour­tant en par­tie évi­table puisque les auto­ri­tés locales et fédé­rales étaient aler­tées depuis long­temps de la vétus­té des digues et de la fai­blesse des dis­po­si­tifs d’évacuation.


Il est vrai que le contre-choc pétro­lier qui s’est tra­duit dans les années quatre-vingt par une baisse de la demande mon­diale, sui­vie d’un effon­dre­ment des cours du baril et des pro­fits pétro­liers, est res­té comme un trau­ma­tisme majeur dans le monde du pétrole. Peut-on repro­cher aux pro­duc­teurs et aux diri­geants des com­pa­gnies pétro­lières de cher­cher à pro­té­ger leur mar­ché – et leurs pro­fits – en repous­sant dans leurs décla­ra­tions l’ho­ri­zon des ten­sions pétrolières ?

Ain­si en 2006 les com­pa­gnies Exxon, BP, ENI, ont expli­qué au plus haut niveau (CEO, direc­teur de la stra­té­gie), ou affir­mé par des cam­pagnes média­tiques qu’il n’y avait pas de risque de rare­té phy­sique : « no sign of peak oil ». Ils ont été sou­te­nus par la plu­part des uni­ver­si­taires ou consul­tants s’in­té­res­sant à la ques­tion, comme le CERA, ain­si que par les grandes orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, Agence inter­na­tio­nale de l’Éner­gie (AIE) en tête. Le fait que cet orga­nisme, char­gé d’é­clai­rer les gou­ver­ne­ments des États de l’OCDE, ne dis­pose ni de géo­logues ni de pro­duc­teurs pour éclai­rer sa lan­terne sur ce sujet dont la com­pré­hen­sion passe par les géos­ciences laisse quelque peu inquiet.

Pour­tant, nous com­men­çons à voir se consti­tuer sur la ques­tion une cer­taine har­mo­nie, notam­ment par­mi les acteurs fran­çais, comme Total et l’IFP, qui convergent main­te­nant autour d’un pos­sible pic de pro­duc­tion ou d’un « pla­teau en tôle ondu­lée » vers 2020 (+/- 5 ans), à un niveau proche de 100 Mb/d1 (+/- 5 Mb/d), soit 5 mil­liards de tonnes par an. Ce point de vue est par­ta­gé par cer­tains groupes amé­ri­cains comme Che­vron Texa­co. Est-ce que ce consen­sus local pré­fi­gure un accord plus large, dans lequel la sym­pho­nie des acteurs, au plan mon­dial cette fois, vien­drait rem­pla­cer l’ac­tuelle cacophonie ?

Il est vrai que la ques­tion du pro­fil pro­bable de la pro­duc­tion pétro­lière mon­diale est complexe.

Un problème d’iceberg ou une simple question d’élasticité au prix ?

Pour les géos­cien­ti­fiques, la ques­tion des futurs pro­fils mon­diaux de pro­duc­tions relève avant tout de leur dis­ci­pline. Leur vision de cette ques­tion est qu’il s’a­git d’un pro­blème d’i­ce­berg. La « par­tie visible » des réserves, ce qui est publié, ce sont les réserves prou­vées, c’est-à-dire celles qui peuvent être pro­duites au prix actuel avec les tech­no­lo­gies actuelles. Mal­heu­reu­se­ment, ces réserves prou­vées qui consti­tuent la par­tie émer­gée et donc visible de l’i­ce­berg, sont un mélange constam­ment variable de nou­velles décou­vertes et de rééva­lua­tions des réserves pré­exis­tantes. Ces réserves prou­vées ne per­mettent pas de se faire une idée de la par­tie immer­gée que consti­tuent les réserves pos­sibles et pro­bables et les décou­vertes a venir. La tota­li­té de l’i­ce­berg reflète le concept de réserves ultimes qui n’a mal­heu­reu­se­ment aucune exis­tence sta­tis­tique et ne peut être dis­cu­té qu’entre spé­cia­listes. C’est pour­tant le concept le plus utile pour ten­ter une approche de la déter­mi­na­tion du pic de la pro­duc­tion pétro­lière mon­diale. Quand ? À quel niveau ? Et, impli­ci­te­ment, à quel prix du brut ?

À défaut de pou­voir uti­li­ser l’ap­proche des réserves ultimes, il reste aux ana­lystes de la ques­tion du pic à se rabattre sur les courbes d’é­cré­mage et sur la théo­rie de King Hub­bert qui apporte de pré­cieux éclai­rages com­plé­men­taires. Le sché­ma ci-des­sous illustre par exemple com­ment s’est consti­tué l’i­ce­berg (réserves prou­vées + pro­bables) au cours du temps, et montre que les nou­velles décou­vertes sont loin de com­pen­ser la fonte de l’i­ce­berg due au niveau actuel de la consommation.

Les éco­no­mistes, quant à eux, pensent que tout est affaire d’é­las­ti­ci­té au prix : ils ont une foi inébran­lable dans la loi de l’offre et de demande. Pour nombre d’entre eux la ques­tion des réserves de pétrole et de gaz n’existe pas réel­le­ment, car ils les sup­posent infi­nies au plan phy­sique. Tout bien éco­no­mique ayant une élas­ti­ci­té de l’offre liée à son prix, il suf­fi­rait de mon­ter suf­fi­sam­ment le prix pour faire s’é­va­nouir la ques­tion de l’in­suf­fi­sance de l’offre. Le seul pro­blème est que cette élas­ti­ci­té est très faible pour le pétrole alors qu’elle est forte pour toutes les autres res­sources miné­rales, char­bon et ura­nium com­pris. La rai­son sous-jacente à cette dif­fé­rence fon­da­men­tale est que le pétrole pré­sente une gîto­lo­gie dis­con­ti­nue de type tout ou rien (le forage est dans la par­tie impré­gnée du réser­voir ou il est en dehors) alors que les autres res­sources miné­rales pré­sentent des gîto­lo­gies très dif­fé­rentes de types plus ou moins conti­nues. Les teneurs de cou­pure des mine­rais pour l’u­ra­nium ou les épais­seurs et pro­fon­deurs limites des couches exploi­tables pour le char­bon viennent bor­ner tem­po­rai­re­ment la valeur des réserves.

En fait dans la grande famille des res­sources pétro­lières, il existe une sous-famille dont les réserves se com­portent vis-à-vis des prix comme celles du char­bon : c’est la sous-famille des bruts ultra-lourds et des sables bitu­mi­neux, à laquelle on pour­rait adjoindre celle des schistes bitu­mi­neux. Pour ces hydro­car­bures pâteux et solides ou pour ces kéro­gènes in situ, l’é­las­ti­ci­té des réserves au prix est forte contrai­re­ment à celle des pétroles tra­di­tion­nels. Pour ces res­sources les contraintes majeures sont celles de l’éner­gie-vora­ci­té de leur mise en valeur, des pol­lu­tions locales et des émis­sions de CO2.

Plus on vou­dra pous­ser les taux de récu­pé­ra­tion, plus il fau­dra consom­mer d’éner­gie par tonne nette pro­duite : cer­tains évoquent main­te­nant la pos­si­bi­li­té d’un recours mas­sif au nucléaire pour four­nir les calo­ries et l’hydrogène.

Quand la politique vient ajouter quelques autres dissonances

Pour les res­pon­sables poli­tiques d’un pays pro­duc­teur, il n’est pas illé­gi­time de cher­cher à opti­mi­ser la rente pétro­lière et de l’é­tendre sur la durée. Dans d’autres domaines ceci serait d’ailleurs consi­dé­ré comme de la ges­tion en « bon père de famille » d’une res­source finie et non renouvelable.

De fait, les pays déte­nant plus de 80 % des réserves mon­diales (Opep, plus Rus­sie et Mexique) semblent sou­vent frei­ner déli­bé­ré­ment les inves­tis­se­ments étran­gers dans l’ex­plo­ra­tion et la pro­duc­tion de leurs res­sources en hydro­car­bures, et ne montrent que peu d’en­thou­siasme à y inves­tir mas­si­ve­ment eux-mêmes.

La réa­li­té de ces fac­teurs poli­tiques est indé­niable, et vient se sur­ajou­ter aux limi­ta­tions phy­siques qui demeurent tou­te­fois le fac­teur essen­tiel. La prise en compte de cette nou­velle contrainte per­met en fait de dimi­nuer la caco­pho­nie ambiante et faci­lite main­te­nant la conver­gence des obser­va­teurs. Depuis envi­ron deux années, les opti­mistes qui voyaient la pro­duc­tion pétro­lière mon­diale grim­per allè­gre­ment à 120 Mb/d en 2020 puis à 130 en 2030, modi­fient for­te­ment leur dis­cours. Ils recon­nais­saient désor­mais que l’on ne dépas­se­ra sans doute pas 110 ou même 100 Mb/d, en rai­son de ces contraintes politiques.

Fina­le­ment, le pic mon­dial pétro­lier pour­rait appa­raître dès 2010 au lieu de 2020 et se situer à un niveau de 90 ou 95 Mb/d au lieu de 100. Le pic gazier pour­rait inter­ve­nir peu après, avec un déca­lage pro­bable d’une ving­taine d’années.
Faut-il s’en offus­quer ? Faut-il exer­cer des pres­sions poli­tiques et mili­taires pour modi­fier ces poli­tiques res­tric­tives ? Faut-il au contraire s’en féli­ci­ter ? Nous pen­chons plu­tôt pour cette der­nière posi­tion, car seuls des prix encore net­te­ment plus éle­vés que les prix actuels d’en­vi­ron 70 $/baril per­met­tront les néces­saires modi­fi­ca­tions de com­por­te­ment et la dimi­nu­tion de notre énergie-voracité.

L’offre de pétrole pour­rait donc décli­ner pro­chai­ne­ment. Quelles solu­tions de sub­sti­tu­tion pour­ront alors pro­po­ser l’é­co­no­mie mondiale ?

Quelles solutions face aux contraintes climatiques et à la rareté du pétrole ?

Des solutions pour remplacer le pétrole émergeront, poussées par les lois de l’économie…

Lorsque le pétrole devien­dra plus rare et plus cher, l’é­co­no­mie s’a­dap­te­ra pour ten­ter de pro­po­ser le plus rapi­de­ment pos­sible les solu­tions de rem­pla­ce­ment les moins coûteuses.

Depuis que le prix du baril a dépas­sé 40 $, l’ex­ploi­ta­tion des sables bitu­mi­neux du Cana­da est deve­nue ren­table, de même que les huiles extra-lourdes de l’O­ré­noque. Les réserves mon­diales de pétrole ont alors été poten­tiel­le­ment aug­men­tées d’un mon­tant supé­rieur aux réserves de l’A­ra­bie Saoudite.

Au delà du seuil de 70 $, l’in­dus­trie est inci­tée à fabri­quer du pétrole syn­thé­tique à par­tir de char­bon, par exemple en déve­lop­pant le pro­cé­dé Fischer-Tropsch uti­li­sé aujourd’­hui en Afrique du Sud. Des recherches sont aus­si en cours pour ten­ter de valo­ri­ser de manière accep­table les schistes bitu­mi­neux, dont les réserves sont consi­dé­rables notam­ment aux USA.

Vu les réserves de sables bitu­mi­neux, d’huile extra-lourde et sur­tout de char­bon (et de schistes ?), l’in­dus­trie pour­rait en théo­rie mettre sur le mar­ché des volumes consi­dé­rables de pétrole syn­thé­tique, sus­cep­tibles de dif­fé­rer les ten­sions de plu­sieurs décen­nies. Le total des pro­jets de liqué­fac­tion du char­bon envi­sa­gés aux USA repré­sente ain­si près de 5 mil­lions de barils par jour à l’ho­ri­zon 2030, et autant en Chine : cela mobi­li­se­rait envi­ron 1 mil­liard et demi de tonnes de char­bon… à un hori­zon où la séques­tra­tion du CO2 ne sera cer­tai­ne­ment pas généralisée.

Pour autant, il est peu pro­bable que la date des ten­sions sur le mar­ché pétro­lier soit sen­si­ble­ment dif­fé­rée : sans même évo­quer les éven­tuelles limi­ta­tions liées au CO2, ces solu­tions de rem­pla­ce­ment ne pour­ront se déve­lop­per que très pro­gres­si­ve­ment. Il faut en effet comp­ter au moins dix ans pour mettre en exploi­ta­tion de nou­velles mines, construire les usines, réa­li­ser les néces­saires infra­struc­tures, comme par exemple les gazo­ducs ‑ou les éven­tuelles cen­trales nucléaires ?- qui appor­te­ront la cha­leur néces­saire à l’ex­ploi­ta­tion des sables bitu­mi­neux au Cana­da. Si le pic pétro­lier inter­vient rapi­de­ment, ces sub­sti­tuts ne feront en fait qu’a­dou­cir la forme de la « tôle ondulée ».

Les solu­tions les plus « éco­no­miques » (au sens de l’é­co­no­mie de court terme) sont aujourd’­hui des solu­tions car­bo­nées, qui émet­tront beau­coup de CO2 vu les mau­vais ren­de­ments de la fabri­ca­tion de pétrole syn­thé­tique. Elles seront donc pri­vi­lé­giées par les méca­nismes éco­no­miques, les­quels n’in­tègrent pas spon­ta­né­ment les contraintes de long terme liées au chan­ge­ment climatique.

… mais les solutions « éthiques » qui visent à construire un avenir soutenable supposent un encadrement de l’économie, et une acceptation par les consommateurs-citoyens

À côté de ces solu­tions « éco­no­miques », existent des solu­tions qui répondent à la fois aux rare­tés fos­siles et aux contraintes liées aux émis­sions de CO2. Nous appel­le­rons « éthiques » ces solu­tions qui visent à pro­té­ger les géné­ra­tions futures et qui per­met­tront aus­si de par­ta­ger plus équi­ta­ble­ment avec les pays les plus pauvres cette res­source pré­cieuse qu’est le pétrole, grâce à une dimi­nu­tion de la demande dans les pays riches.

Le conte­nu des solu­tions « éthiques » s’im­pose à la logique, et com­mence main­te­nant à être repris par tous les scé­na­rios qui cherchent à construire un ave­nir sou­te­nable. Ces solu­tions consistent à construire de nou­veaux sys­tèmes éner­gé­tiques qui uti­lisent des vec­teurs non car­bo­nés pour les usages trans­port et cha­leur (élec­tri­ci­té, bio­car­bu­rants, hydro­gène, réseaux de cha­leur, bio­masse en rem­pla­ce­ment du gaz et des car­bu­rants pétro­liers), et qui pro­duisent ces vec­teurs en limi­tant les émis­sions de CO2 (séques­tra­tion de CO2, nucléaire, ENR). La réduc­tion de la demande, soit par une meilleure effi­ca­ci­té éner­gé­tique, soit par sobrié­té, appa­raît néces­saire dans tous les scé­na­rios pour bou­cler les bilans. Nous n’en­tre­rons pas ici dans la ques­tion contro­ver­sée de savoir si l’on peut qua­li­fier d’é­thique le nucléaire, la séques­tra­tion du CO2, ou les bio­car­bu­rants lorsque ceux-ci entrent en concur­rence avec l’a­li­men­ta­tion des plus pauvres…

Les divers scé­na­rios « éthiques » ne dif­fèrent fina­le­ment entre eux que par la pon­dé­ra­tion de ces solu­tions, laquelle reste effec­ti­ve­ment à dis­cu­ter. Pour les trans­ports par exemple, quelle sera la part de l’élec­tri­ci­té, de l’hy­dro­gène, ou des bio­car­bu­rants dans les éner­gies finales utilisées ?

Enfin, les solu­tions éthiques n’ont de sens que si elles sont déve­lop­pées au niveau mon­dial. Ce sont natu­rel­le­ment les émis­sions mon­diales de CO2 qui doivent être réduites, non celles de l’Eu­rope ou de tout autre conti­nent pris de manière isolée.

Mais ces solu­tions plé­bis­ci­tées par le citoyen ne se déve­lop­pe­ront pas spon­ta­né­ment : elles s’ac­com­pagnent géné­ra­le­ment de sur­coûts notables pour le consom­ma­teur des pays riches… et de sur­coûts consi­dé­rables pour le consom­ma­teur des pays pauvres.

Le problème, c’est que les solutions « éthiques » sont rarement « économiques »

La sobrié­té consiste à renon­cer à une consom­ma­tion : bais­ser la tem­pé­ra­ture de chauf­fage, débran­cher la cli­ma­ti­sa­tion, rem­pla­cer un dépla­ce­ment en avion par une télé-confé­rence ou un album de pho­tos tou­ris­tiques, uti­li­ser un vélo pour les tra­jets de proxi­mi­té, etc. Le coût éco­no­mique direct de la sobrié­té est nul, mais adop­ter ce type de com­por­te­ment sup­pose un effort réel et com­porte un coût impli­cite pour le consom­ma­teur que les éco­no­mistes asso­cie­raient à un « sur­plus du consom­ma­teur », auquel il lui est deman­dé de renoncer.

À part la sobrié­té, seuls les efforts d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique les plus faciles à mettre en oeuvre (ceux qui per­mettent d’é­co­no­mi­ser de l’ordre de 20 % de la consom­ma­tion) et le nucléaire appa­raissent à la fois « éco­no­mique » et « éthique ». Toutes les autres solu­tions « éthiques » aujourd’­hui opé­ra­tion­nelles s’ac­com­pagnent d’un sur­coût notable, dès lors que ne sont pas comp­ta­bi­li­sées les exter­na­li­tés de long terme.

Trans­for­mer les sys­tèmes éner­gé­tiques en déve­lop­pant les solu­tions éthiques coû­te­rait d’a­près nos esti­ma­tions de l’ordre de 2 % du PIB dans nos pays pen­dant cin­quante ans, mais beau­coup plus dans les pays en développement.

Nous savons que demain, il fau­dra être riche pour ache­ter du pétrole. Nous oublions par contre sou­vent qu’il faut être riche pour s’en pas­ser : en l’ab­sence d’in­fra­struc­tures éner­gé­tiques de réseaux, le pétrole est en effet la seule éner­gie faci­le­ment uti­li­sable, par exemple pour pro­duire l’élec­tri­ci­té loca­le­ment avec des groupes élec­tro­gènes. Les pays les plus pauvres ne pour­ront évi­dem­ment pas finan­cer les solu­tions de rem­pla­ce­ment que sont les cen­trales hydrau­liques, nucléaires, l’éo­lien ou le solaire, faute de dis­po­ser des néces­saires réseaux élec­triques, et encore moins finan­cer le déve­lop­pe­ment des coû­teux véhi­cules élec­triques ou à hydro­gène ! Il n’est pas cer­tain non plus que ceux qui uti­lisent mas­si­ve­ment la solu­tion peu coû­teuse qu’est le char­bon pour­ront finan­cer faci­le­ment le sur­coût de la cap­ture et du sto­ckage du CO2… à sup­po­ser que la géo­lo­gie locale le permette.

Se pose­ra donc la ques­tion de la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale, du finan­ce­ment des solu­tions éthiques à l’é­chelle mon­diale, et du par­tage de la res­source vitale qu’est le pétrole, seul moyen de sur­vie dans cer­taines régions.

Quand faudra-t-il se décider à mettre en place les solutions « éthiques » ?

Dans un monde idéal, c’est au début des années quatre-vingt-dix que le pré­sident Mit­ter­rand (et ses homo­logues des pays déve­lop­pés) aurait pu déci­der de lan­cer un pro­gramme volon­ta­riste pour déve­lop­per les solu­tions « éthiques » per­met­tant à la France de consom­mer beau­coup moins de pétrole en 2020 tout en limi­tant les émis­sions de CO2.

Les dix à quinze pre­mières années auraient été consa­crées à la R & D et à la mise au point indus­trielle de nou­veaux pro­cé­dés opti­mi­sés : véhi­cules, bat­te­ries, réseaux de cha­leur ali­men­tés par des éner­gies non fos­siles, iso­la­tion des bâti­ments, pompes à cha­leur uti­li­sant la géo­ther­mie de sur­face… Cette période aurait éga­le­ment été néces­saire pour l’a­mé­na­ge­ment des infra­struc­tures, par exemple les iso­la­tions des bâti­ments ou les cen­taines de mil­liers de bornes de recharge pour véhi­cules élec­triques ou hybrides rechar­geables sur la voi­rie et dans les parkings.

À par­tir de 2000 — 2005 les chau­dières au fioul en fin de vie auraient été sys­té­ma­ti­que­ment rem­pla­cées sans sur­coût notable par d’autres sys­tèmes pas ou peu émet­teurs de CO2 et les quelques deux mil­lions de véhi­cules mis à la casse chaque année en France auraient été rem­pla­cés par des véhi­cules élec­triques, hybrides, ou très peu consom­ma­teurs de car­bu­rants clas­siques (3 litres au 100 km). Des amé­na­ge­ments urbains faci­li­te­raient les dépla­ce­ments en vélo, ou multi-modal.

En consé­quence, à par­tir de 2000, chaque année aurait vu l’ef­fa­ce­ment de 2 à 2,5 mil­lions de tonnes de pétrole en France (ce qui nous aurait ame­né en 2005 à une consom­ma­tion proche de 75 mil­lions de tonnes de pétrole au lieu des 87 mil­lions de tonnes effec­ti­ve­ment consom­mées). Dès 2020, le tiers des tra­jets auto­mo­biles aurait été élec­tri­fié, avec le rem­pla­ce­ment de 15 mil­lions de tonnes de car­bu­rants par quelques 50 TWh, four­nis par exemple par 4 réac­teurs EPR, ou 25 000 éoliennes de 1 MW.Nous ver­rions alors venir avec beau­coup plus de tran­quilli­té le pro­chain choc pétro­lier à l’ho­ri­zon 2010–2020, et nous serions sur la tra­jec­toire réa­liste de la divi­sion par un fac­teur 4 ou 5 en 2050 des émis­sions de CO2, avec une cible de l’ordre de 0,4 tonnes car­bone de CO2 par indi­vi­du (contre 1,7 en 2005).

Mais il aurait fal­lu être vision­naire pour prendre une telle orien­ta­tion à l’é­poque du contre-choc pétro­lier où le prix du baril décli­nait vers les 10 $.Dans un monde plus réel, il faut hélas sou­vent attendre que l’es­sen­tiel des cli­gno­tants passent au rouge pour agir. Pour­tant, plus on agi­ra tar­di­ve­ment, plus les sur­coûts finan­ciers à l’ar­ri­vée seront impor­tants : il fau­dra déclas­ser de manière anti­ci­pée des équi­pe­ments non encore en fin de vie, et les rem­pla­cer par des solu­tions que l’on n’au­ra pas eu le temps d’op­ti­mi­ser par la R & D adé­quate. Ces sur­coûts seront de plus alour­dis par le coût des dégâts cli­ma­tiques, lequel sera aggra­vé par les retards pris dans les déci­sions comme le remarque le récent rap­port Stern. Enfin, leur coût social sera éle­vé : l’i­né­ga­li­té face à de fortes hausses des prix des éner­gies entraî­ne­ra inévi­ta­ble­ment des ten­sions dont la ges­tion sera difficile.

Pourrons-nous développer assez rapidement les solutions éthiques pour maintenir la croissance ?

Le pétrole est une éner­gie remar­qua­ble­ment concen­trée, qui sera dif­fi­cile à rem­pla­cer à volume et coût constants. Même en mobi­li­sant toutes les éner­gies aujourd’­hui acces­sibles, nos modèles peinent à trou­ver des scé­na­rios réa­listes capables de satis­faire la crois­sance de la demande mon­diale d’éner­gie au delà de 2040 – 2050.

En effet, les éner­gies fis­siles et les éner­gies dif­fuses renou­ve­lables, qui consti­tue­ront l’es­sen­tiel de notre consom­ma­tion éner­gé­tique d’a­près-demain, ne pour­ront se déve­lop­per que pro­gres­si­ve­ment : il nous faut au moins trente ans pour déve­lop­per une filière de sur­gé­né­ra­teurs, et plu­sieurs décen­nies pour construire des sys­tèmes élec­triques inté­grant une pro­por­tion signi­fi­ca­tive d’éo­lien et de pho­to­vol­taïque inter­mit­tents, capables de se sub­sti­tuer aux éner­gies fos­siles. Le char­bon sera la seule res­source éner­gé­tique concen­trée capable de faire face à la demande dans les pro­chaines décen­nies. Mais cette solu­tion est éco­lo­gi­que­ment catas­tro­phique si elle n’est pas accom­pa­gnée de la cap­ture et du sto­ckage du CO2 émis.

Le gra­phique ci-des­sus illustre le scé­na­rio extrême d’une uti­li­sa­tion mas­sive de toutes les éner­gies acces­sibles. À l’ho­ri­zon 2050, le parc hydrau­lique mon­dial est dou­blé pour atteindre 5 000 TWh (ce qui épuise pra­ti­que­ment le poten­tiel mon­dial de l’hy­drau­lique), les autres ENR dépassent 10 000 TWh (contre moins de 400 TWh aujourd’­hui, ce qui sup­pose une recon­fi­gu­ra­tion des sys­tèmes élec­triques pour inté­grer ces éner­gies inter­mit­tentes), le parc nucléaire est mul­ti­plié par 5 pour atteindre près de 15 000 TWh (ce qui sup­pose l’ou­ver­ture de nom­breuses mines d’u­ra­nium), et le char­bon passe de 4 à 20 mil­liards de tonnes (soit 14 Gtep), ce qui est très peu « éthique » car seule une faible pro­por­tion du CO2 émis sera cap­tée et séques­trée à cet horizon.

Au final, une crois­sance mon­diale de la demande éner­gé­tique sup­po­sée à 1,6 % par an (tirée par une démo­gra­phie en crois­sance de 0,9 % par an) arrive à une impasse peu après 2050… mal­gré donc des réserves de char­bon sup­po­sées à 2 000 mil­liards de tonnes, soit 500 fois la consom­ma­tion 2005.

Les seules solu­tions « éthiques », qui limi­te­ront l’u­ti­li­sa­tion du char­bon, conduisent à une décrois­sance de l’offre éner­gé­tique mon­diale dès 2025 – 2030.

Les poten­tiels d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique acces­sibles à cet hori­zon ne seront pas suf­fi­sants, et la seule issue sera alors une forme de sobrié­té, c’est-à-dire de chan­ge­ment de mode de vie pour consom­mer moins d’éner­gie. Cette sobrié­té sera-t-elle par­ta­gée dans le monde ou repor­tée sur les régions les plus fra­giles, c’est-à-dire celles qui sont les plus faibles mili­tai­re­ment ou celles qui comme l’Eu­rope dis­posent de peu de res­sources éner­gé­tiques ? La sobrié­té sera-t-elle assu­mée libre­ment dans le cadre de socié­tés démo­cra­tiques, ou s’o­rien­te­ra-t-on vers des régimes tota­li­taires qui gère­ront les pénu­ries de manière autoritaire ?

La sobrié­té assu­mée est cer­tai­ne­ment le choix éthique par excel­lence. Mais per­sonne ne change son mode de vie sans une inci­ta­tion forte : d’où pour­ra venir cette incitation ?

Les prochaines crises, une chance historique pour l’humanité ?

L’é­co­no­mie est par nature indif­fé­rente à l’é­thique : son moteur est l’en­ri­chis­se­ment per­son­nel, qui passe par la crois­sance et la pro­duc­ti­vi­té. Comme l’a remar­qué le phi­lo­sophe Hans Jonas, seule une « heu­ris­tique de la peur » peut recons­truire l’é­thique que le mar­ché a détruite.

Les pro­chaines crises pétro­lières et les alertes cli­ma­tiques, aux­quelles il faut ajou­ter les autres ques­tions majeures que sont les dis­po­ni­bi­li­tés des res­sources en nour­ri­ture et en eau potable, les inéga­li­tés dans le déve­lop­pe­ment et les atteintes à la bio­di­ver­si­té… ne seront-elles pas fina­le­ment une chance pour l’hu­ma­ni­té, l’oc­ca­sion unique de repen­ser nos modes de vie, de pré­ser­ver la démo­cra­tie et de construire de nou­velles soli­da­ri­tés dans le monde, à sup­po­ser (espé­rons-le) qu’elles ne soient pas déjà les pre­miers signes d’une catas­trophe annon­cée et irréversible ?

Fina­le­ment, le vrai choix n’est pas entre les solu­tions « éco­no­miques » et les solu­tions « éthiques », mais plu­tôt entre choi­sir main­te­nant les solu­tions « éthiques », dans un contexte paci­fié et alors que nous dis­po­sons encore des res­sources éner­gé­tiques abon­dantes qui faci­li­te­ront les néces­saires tran­si­tions, ou impo­ser ce choix demain à nos enfants, dans un contexte de crise sans pré­cé­dent dans l’his­toire du monde : manque d’eau, d’éner­gie, pos­sibles guerres mon­diales autour de res­sources vitales raré­fiées, crises éco­no­miques géné­ra­li­sées, cli­mat défi­ni­ti­ve­ment détérioré.

Les dif­fi­cul­tés qui s’an­noncent nous don­ne­ront peut-être la capa­ci­té de mettre en place – le plus vite pos­sible, espé­rons-le – les choix éthiques qui s’im­posent : fina­le­ment, le plus pro­bable est que le XXIe siècle sera éthique ou ne sera pas.

1. MB/d = mil­lion de barils par jour

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