Marcel Aymé, auteur de Clérambard

Clérambard de Marcel Aymé

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°641 Janvier 2009Par : Marcel Aymé.Rédacteur : Philippe Oblin (46)

M. Jean-Marie Bigard avait mon­té et jouait Clé­ram­bard, de Mar­cel Aymé, au Théâtre Héber­tot. La mise en scène était de Nico­las Brian­çon, ce qui n’est pas peu dire. Déçu par la faible fré­quen­ta­tion de la salle, ce mal­gré une cri­tique géné­ra­le­ment bonne, M. Bigard a déci­dé d’arrêter les repré­sen­ta­tions avant que j’eusse le temps de prendre le che­min de l’Hébertot.

De sorte que je ne pour­rai pas vous par­ler aujourd’hui de ce spec­tacle mais seule­ment de la pièce, que j’avais jadis vue lors de sa créa­tion à la Comé­die des Champs-Ély­sées, avec Jacques Dumes­nil dans le rôle-titre. Et bien enten­du relue avant de déca­pu­chon­ner mon sty­lo pour cette chronique.

Une pièce inclassable

Il s’agit, me semble-t-il, d’une pièce inclas­sable. Ce qui n’a rien de sur­pre­nant, l’auteur étant lui-même clas­sé par­mi les inclas­sables. C’est peut-être d’ailleurs la rai­son pour­quoi il agace bien des qui­dams de la meilleure socié­té. Les décon­certe l’étendue stu­pé­fiante de sa gamme, qui va de la tru­cu­lence de La Jument verte au bes­tiaire plein de tendre humour des Contes du chat per­ché. En pas­sant par des romans sociaux de haut vol dont un pro­fes­seur d’université amé­ri­caine recom­man­dait la lec­ture à ses élèves en lit­té­ra­ture fran­çaise s’ils vou­laient com­prendre la France de juste avant, pen­dant et juste après la Seconde Guerre mondiale.

Il s’agissait de Tra­ve­lingue, Le Che­min des éco­liers et Ura­nus. Il convient de ne pas oublier non plus les essais d’éthique comme Sil­houette du scan­dale, où l’on peut lire des consi­dé­ra­tions du genre Si le sou­ve­rain russe, en réponse au fameux « Vive la Pologne, Mon­sieur » eût crié « Vive l’Algérie, Mon­sieur » on aurait trou­vé la chose d’assez mau­vais goût. Ou encore, dans la même veine, Le Confort intel­lec­tuel.

Après tout, si les per­sonnes de dis­tinc­tion ne com­prennent rien à Mar­cel Aymé, tant pis pour elles, et reve­nons à Clé­ram­bard.

Le sujet

Le sujet ? Le comte de Clé­ram­bard est un mal­gra­cieux com­plè­te­ment désar­gen­té. Pour ten­ter de sau­ver son hôtel par­ti­cu­lier, dont la toi­ture fuit comme une pas­soire, il fait tra­vailler sa famille – épouse, belle-mère et fils – sur des métiers à tricoter.

Par sadisme, il tue des chats que l’on mange ensuite, pas loin de deux fois la semaine. Le curé du lieu essaye d’arranger un mariage entre le fils et l’aînée des trois filles de maître Galu­chon l’avoué, de basse extrac­tion mais plein aux as. Lors de la visite de l’ecclésiastique, le comte tue son chien, par jeu. Saint Fran­çois d’Assise appa­raît, sous les traits d’un moine. Clé­ram­bard est seul à le voir. Le saint fait reproche de cette mort au comte. En par­tant, il res­sus­cite le chien. Tirant leçon de ce miracle, Clé­ram­bard se conver­tit à l’amour du prochain.

Son fils lui ayant avoué que, depuis l’âge de treize ans, il est trou­blé au der­nier degré par la tru­cu­lente Lan­gouste, le comte décide de prendre pour bru cette fille de passes à dix francs, avec clien­tèle de trou­fions, qui doit son nom aux taches rouges qu’elle porte sur le ventre. Il va la trou­ver, lui amène son fils. Bien des scènes comiques en résultent, d’autant que maître Galu­chon se révèle être aus­si un habi­tué de la Langouste.

Clé­ram­bard, par ailleurs deve­nu pro­tec­teur de ses soeurs les arai­gnées, et Dieu sait s’il y en a chez lui, met son hôtel en vente et achète une rou­lotte, dans l’idée de par­tir avec sa famille sur les routes, prê­chant l’amour des arai­gnées et du pro­chain. Fai­sant visi­ter la rou­lotte à la plus ravis­sante des filles Galu­chon, qui n’est pas celle qu’on lui des­ti­nait, le fils en pro­fite pour la vio­ler. Tout le monde étant réuni autour de la rou­lotte, saint Fran­çois d’Assise paraît. Cha­cun le voit, sauf le curé qui se demande com­ment il expli­que­ra cette trou­blante défaillance à Mon­sei­gneur. Il dira qu’il avait oublié ses lunettes.

Quoi qu’il en soit, tous les autres s’agenouillent, se conver­tissent et montent dans la rou­lotte, la Lan­gouste en tête. Le curé demeure seul. Rideau.

Inouï des situations et le réalisme des personnages

Com­plè­te­ment far­fe­lu ! Mais oui, sans aucun doute. Et après ? Pour sûr, si vous atten­dez de Mar­cel Aymé un « mes­sage », ou des choses sem­blables, de celles qui élèvent l’esprit, vous res­te­rez sur votre soif. Clé­ram­bard n’a pas été écrite pour vous.

Comme tou­jours, Mar­cel Aymé y asso­cie l’inouï des situa­tions avec le réa­lisme des com­por­te­ments et du lan­gage de ses per­son­nages, cha­cun plus vrai que nature. Immer­gés dans l’inattendu, et même en l’occurrence le mer­veilleux, les êtres créés par l’auteur demeurent tels que nous pour­rions les ren­con­trer, dans la rue ou ailleurs. De cette réa­li­té dans l’irréel naît une ren­contre d’un pro­di­gieux comique, dont on aurait bien tort de se priver.

Si donc, comme moi, vous n’avez pas eu la chance de voir, ou de revoir, ce Clé­ram­bard, rien ne vous empêche en tout cas de lire le texte de Mar­cel Aymé.

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