Troupeau de vaches avec leurs veaux dans le bocage charolais.

Biodiversité et agriculture

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Gilles KLEITZ

La biodiversité des territoires agricoles, pastoraux et ruraux

La biodiversité des territoires agricoles, pastoraux et ruraux

Le domaine rural, où s’exercent notam­ment les acti­vi­tés agri­coles et pas­to­rales, couvre plus de la moi­tié du ter­ri­toire fran­çais. On y trouve non seule­ment l’en­semble des habi­tats et des espèces du ter­ri­toire, y com­pris celles ins­crites dans les Livres rouges (listes des espèces rares ou mena­cées), mais éga­le­ment le patri­moine vivant des espèces, varié­tés, et races culti­vées ou éle­vées, sélec­tion­nées au cours de l’his­toire. Le monde rural joue ain­si un rôle de pre­mier plan dans l’é­vo­lu­tion de la diver­si­té du monde vivant sur le ter­ri­toire fran­çais. De façon pra­tique, les liens entre acti­vi­té agri­cole et bio­di­ver­si­té se com­prennent à l’é­chelle de la par­celle, de l’ex­ploi­ta­tion et du ter­ri­toire. Ils intègrent les dimen­sions bio­lo­giques et agro­no­miques, sociales et tech­niques, et les rap­ports à l’é­co­no­mie et aux marchés.

L’a­gri­cul­ture et l’é­le­vage consistent en pre­mier lieu à maî­tri­ser des cycles de vie d’or­ga­nismes utiles, sélec­tion­nés, dans le cadre d’é­co­sys­tèmes sim­pli­fiés, semi-natu­rels ou très peu modi­fiés. Cette maî­trise exige un tra­vail, un savoir-faire, des amé­na­ge­ments et des intrants. Il en résulte des par­celles ou des ate­liers qui, selon les cas, vont être d’une très grande diver­si­té bio­lo­gique, par­fois com­pa­rable ou supé­rieure à ce qu’elle serait en l’ab­sence d’in­ter­ven­tion, ou au contraire appau­vrie, com­mune, et de faible valeur patri­mo­niale et écologique.

Ain­si, les stra­té­gies agro­no­miques d’une part (amé­na­ge­ments, rota­tions cultu­rales, plan­ta­tion de haies, ges­tion des prai­ries…) et les tech­niques d’autre part (tra­vail du sol, pacage d’a­ni­maux, uti­li­sa­tion d’in­trants de syn­thèse, épan­dage des effluents d’é­le­vage, uti­li­sa­tion de races et varié­tés adap­tées au milieu, autres inter­ven­tions tech­niques, choix de la sai­son­na­li­té et de l’in­ten­si­té dont font l’ob­jet ces tra­vaux) déter­minent, dans une très large mesure, quels orga­nismes, choi­sis ou spon­ta­nés, vivent sur une par­celle et per­mettent d’é­vi­ter l’u­ti­li­sa­tion de tech­niques nui­sibles pour la bio­di­ver­si­té du sol et des plantes (phy­to­sa­ni­taires…). Ces choix stra­té­giques et tac­tiques influent ain­si sur la diver­si­té des orga­nismes et la pro­duc­tion de bio­masse sur une par­celle, leur valeur en tant que patri­moine natu­rel, et leurs capa­ci­tés de régu­la­tion écologique.

L’or­ga­ni­sa­tion spa­tiale des par­celles dans l’ex­ploi­ta­tion agri­cole et dans l’en­vi­ron­ne­ment rural repré­sente un deuxième déter­mi­nant fon­da­men­tal pour la diver­si­té bio­lo­gique du monde rural. L’open­field, le bocage, les mosaïques de bos­quets, de zones culti­vées et de prai­ries, les ver­gers, l’im­por­tance des prai­ries natu­relles et per­ma­nentes, la diver­si­té à l’in­té­rieur des par­celles et entre par­celles, l’in­ser­tion spa­tiale et topo­gra­phique du réseau hydro­gra­phique dans le par­cel­laire agri­cole, les liens entre ces élé­ments, ou la part des élé­ments linéaires dans l’en­vi­ron­ne­ment sont tous struc­tu­rants pour l’exis­tence d’ha­bi­tats variés et de zones refuges pour les organismes.

De même que la taille des par­celles, et que le posi­tion­ne­ment des jachères, ce sont ces élé­ments qui déter­minent la connec­ti­vi­té éco­lo­gique du ter­ri­toire, per­mettent des zones de refuge ou de colo­ni­sa­tion de popu­la­tions d’es­pèces et d’ha­bi­tats, et déter­minent la richesse bio­lo­gique du milieu rural. Ces choix peuvent y contri­buer, mais éga­le­ment aller à contre­sens de cette richesse. C’est le cas, par exemple, lorsque le sys­tème de culture se base sur une seule culture dans le temps et dans l’es­pace, culti­vée sur des par­celles de grande taille défi­ci­taires en « zones de régu­la­tion éco­lo­gique » (haies, bosquets…).

Les systèmes d’exploitation agricole et leurs effets sur la biodiversité

La France rurale est, à l’é­chelle du siècle écou­lé, dans une phase de recrû bio­lo­gique : elle est moins peu­plée et moins uti­li­sée. En cent cin­quante ans, un dixième du ter­ri­toire est pas­sé de la culture et de la prai­rie à la forêt. Cepen­dant, des dyna­miques his­to­riques de spé­cia­li­sa­tion ter­ri­to­riale, d’in­ten­si­fi­ca­tion, de déprise agri­cole, et de mitage péri­ur­bain obligent à un constat nuan­cé, selon les situations.

Les cultures couvrent 30 % du ter­ri­toire et leur inten­si­fi­ca­tion his­to­rique, répon­dant à un impé­ra­tif d’au­to­suf­fi­sance ali­men­taire et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, a entraî­né des effets défa­vo­rables à la bio­di­ver­si­té sur ces terres.


Trou­peau de vaches avec leurs veaux dans le bocage cha­ro­lais. © PASCAL XICLUNA/MIN.AGRI.FR.

Dans les régions de grande culture, repré­sen­tant la moi­tié des sur­faces culti­vées, les prai­ries et les sur­faces boi­sées occupent une sur­face réduite, ce qui induit une homo­gé­néi­té des habi­tats et des sources ali­men­taires, pré­ju­di­ciable en par­ti­cu­lier à la faune sau­vage. En outre, les moda­li­tés d’u­ti­li­sa­tion de la diver­si­té varié­tale et ani­male ont chan­gé, entraî­nant sou­vent une éro­sion de l’a­gro­bio­di­ver­si­té à l’é­chelle locale.

L’u­sage régu­lier des pes­ti­cides, accru par une pres­sion crois­sante des rava­geurs suite à l’in­ten­si­fi­ca­tion de l’a­gri­cul­ture, est par ailleurs une source impor­tante de réduc­tion de la diver­si­té de la flore et la faune dans les champs culti­vés (y com­pris dans les sols) et dans leur voi­si­nage. L’u­sage impor­tant d’en­grais chi­miques et d’ef­fluents d’é­le­vage ont éga­le­ment réduit la diver­si­té bio­lo­gique des milieux en les eutro­phi­sant. Les pro­duc­tions inten­sives spé­cia­li­sées, telles que le maraî­chage, l’ar­bo­ri­cul­ture et la viti­cul­ture, ont eu les mêmes effets.

L’é­le­vage concerne éga­le­ment 30 % du ter­ri­toire (sur­face en herbe, cultures four­ra­gères, par­cours). Si cette acti­vi­té – quand elle n’est pas conduite hors-sol – est glo­ba­le­ment favo­rable au main­tien de la bio­di­ver­si­té des éco­sys­tèmes prai­riaux, dans cer­taines régions, la spé­cia­li­sa­tion exces­sive et l’in­ten­si­fi­ca­tion ont eu des effets néfastes sur l’en­vi­ron­ne­ment, notam­ment par eutro­phi­sa­tion des milieux et par exten­sion des cultures four­ra­gères annuelles. Les zones de poly­cul­ture éle­vage ont évo­lué par spé­cia­li­sa­tion-inten­si­fi­ca­tion ou par déprise, deux dyna­miques défa­vo­rables à la diver­si­té biologique.

Ain­si, l’in­ten­si­fi­ca­tion lai­tière et les cultures four­ra­gères annuelles qu’elle exige ont sou­vent été un fac­teur d’é­ro­sion de la diver­si­té bio­lo­gique des ter­roirs her­ba­gers. Inver­se­ment, l’a­ban­don des acti­vi­tés pas­to­rales exten­sives dans des zones de forte valeur éco­lo­gique, et consé­cu­ti­ve­ment la fer­me­ture des pay­sages, ont pu entraî­ner des chan­ge­ments, par­fois néga­tifs, en termes de bio­di­ver­si­té. Enfin, la concen­tra­tion régio­nale des éle­vages hors-sol sou­lève des pro­blèmes impor­tants de pol­lu­tion par les nitrates et les phosphates.

Les politiques publiques et leurs effets sur la diversité biologique

Les aides aux pro­duc­tions végé­tales au titre de l’or­ga­ni­sa­tion com­mune des mar­chés (56 % des aides à l’a­gri­cul­ture) conti­nuent d’être un levier d’in­ten­si­fi­ca­tion majeur, défa­vo­rable à la bio­di­ver­si­té aus­si bien au niveau des sys­tèmes de culture que des ter­ri­toires, avec des effets contras­tés d’une région à l’autre. Ajou­tées aux aides au remem­bre­ment, aux aides natio­nales à l’ir­ri­ga­tion et au drai­nage, ain­si qu’à des actions favo­rables aux cultures four­ra­gères inten­sives, ces mesures regroupent les effets les plus néga­tifs sur la bio­di­ver­si­té en milieu rural. Les efforts de rai­son­ne­ment des apports d’in­trants, de tra­vail conser­va­toire des sols, de cou­ver­ture hiver­nale des sols, de ges­tion des jachères et d’en­tre­tien des haies repré­sentent des avan­cées qua­li­ta­tives impor­tantes. Cepen­dant, ils cor­res­pondent à moins de 4 % des aides à l’a­gri­cul­ture (mesures agri-envi­ron­ne­men­tales, contrat d’a­gri­cul­ture durable, han­di­cap natu­rel…), à 6 % des exploi­ta­tions fran­çaises et à 13 % de la sur­face agri­cole utile. Ces efforts ne com­pensent pas les inci­ta­tions à effets néga­tifs sur la diver­si­té biologique.

L’ar­ticle 69 de la PAC, qui per­met d’aug­men­ter la pro­por­tion des aides agri-envi­ron­ne­men­tales en pré­le­vant au maxi­mum 10 % du » pre­mier pilier » de la PAC (aides à la pro­duc­tion conven­tion­nelle), aurait pu per­mettre de réduire ce dés­équi­libre, mais la France a choi­si de ne pas uti­li­ser ce levier, contrai­re­ment à plu­sieurs voi­sins euro­péens. Le pas­sage en 1992 de sou­tiens aux pro­duits à un sys­tème de sou­tien à la sur­face a nour­ri l’a­gran­dis­se­ment his­to­rique de la taille des par­celles et des exploi­ta­tions, phé­no­mènes défa­vo­rables à la diver­si­té bio­lo­gique des envi­ron­ne­ments ruraux puis­qu’il encou­rage l’ho­mo­gé­néi­té des cultures, le remem­bre­ment, l’aug­men­ta­tion de la pres­sion des rava­geurs et la sys­té­ma­ti­sa­tion des trai­te­ments. Par­mi les mesures agri-envi­ron­ne­men­tales, celles expli­ci­te­ment vouées à favo­ri­ser la bio­di­ver­si­té concernent moins de 1 % des aides publiques à l’a­gri­cul­ture, et concernent au plus quelques pour cent des sur­faces concer­nées, avec l’ex­cep­tion notable des actions d’en­tre­tien des haies, qui ont tou­ché 22 % des haies françaises.

Le gel régle­men­taire de 10% des grandes cultures a eu des effets béné- fiques sur la bio­di­ver­si­té, bien que cette mesure n’ait pas été conçue dans une pers­pec­tive envi­ron­ne­men­tale et que des marges d’amélioration dans ce sens soient pos­sibles. Les baisses his­to­riques des prix des den­rées incitent éga­le­ment à une opti­mi­sa­tion des quan­ti­tés d’intrants, favo­rable à la réduc­tion des pol­lu­tions d’origine agri­cole. L’augmentation à venir du cours du pétrole devrait éga­le­ment favo­ri­ser cette ten­dance, les engrais chi­miques en dépen­dant largement.

Enfin, la mise en œuvre de la condi­tion­na­li­té des aides ain­si que le res­pect régle­men­taire des bonnes condi­tions agri­coles et envi­ron­ne­men­tales pour­ront appor­ter des pos­si­bi­li­tés nou­velles pour la diver­si­té bio­lo­gique sur l’exploitation agri­cole et en milieu rural. En par­ti­cu­lier, la mise en place des bandes enher­bées le long des cours d’eau est poten­tiel­le­ment une mesure effi­cace, si son appli­ca­tion est rigou­reuse et sui­vie. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la condi­tion­na­li­té des aides ne s’applique bien sûr qu’aux sys­tèmes de pro­duc­tion rece­vant des aides, donc pas aux éle­vages de porcs, de volaille, à la vigne et aux ver­gers, qui pour­tant contri­buent lar­ge­ment aux impacts sur la pol­lu­tion et la baisse de la bio­di­ver­si­té. D’une façon plus géné­rale, de nom­breux témoins confirment que l’esprit des mesures régle­men­taires euro­péennes en matière de réduc­tion des nui­sances envi­ron­ne­men­tales liées à l’activité agri­cole n’est, en France, ni appli­qué plei­ne­ment ni res­pec­té. Enfin, les orien­ta­tions récentes sur l’utilisation natio­nale du futur Fonds euro­péen agri­cole de déve­lop­pe­ment rural (2007−2013) laissent pré­sa­ger une réduc­tion impor­tante des aides direc­te­ment favo­rables à la bio­di­ver­si­té en milieu rural.

Paysage rural dans la Vienne.
Pay­sage rural dans la Vienne.

Les aides à l’élevage repré­sentent 22% des concours publics à l’agriculture. Ces aides ont glo­ba­le­ment contri­bué à aug­men­ter les chep­tels et à figer les char­ge­ments à l’hectare à des niveaux supé­rieurs à l’optimum pour la diver­si­té bio­lo­gique des éco­sys­tèmes prai­riaux. Cepen­dant, la limi­ta­tion de la déprise agri­cole à laquelle ces aides contri­buent ain­si que l’attribution de “primes à l’herbe” liées à des char­ge­ments enca­drés (1,5% des aides à l’agriculture) et d’indemnités com­pen­sa­trices de han­di­caps natu­rels (4 % des aides) conduisent à des effets posi­tifs notables sur la bio­di­ver­si­té, notam­ment dans les zones exten­sives à fort inté­rêt éco­lo­gique, en main­te­nant des espaces ouverts. Par ailleurs, les acti­vi­tés d’élevage sont enca­drées par la régle­men­ta­tion sur les ins­tal­la­tions clas­sées et par l’application de la Direc­tive “ nitrates ”. La pre­mière a peu d’impact sur la réduc­tion des effets néga­tifs sur la bio­di­ver­si­té dans la mesure où les auto­ri­sa­tions et décla­ra­tions ne prennent que par­tiel­le­ment en compte les capa­ci­tés pédo­lo­giques et agro­no­miques d’absorption des effluents et où les contrôles res­tent très limi­tés du fait du grand nombre d’éleveurs.

La seconde est d’une mise en œuvre lente dans les zones vul­né­rables, une trop faible pro­por­tion d’é­le­veurs réa­li­sant les enre­gis­tre­ments régle­men­taires et pra­ti­quant le rai­son­ne­ment de la fumure qui en découle. Par ailleurs, la fixa­tion d’un pla­fond de 170 kg d’a­zote par hec­tare a ins­ti­tué un droit d’é­pan­dage à des niveaux lar­ge­ment supé­rieurs à un opti­mum pour les diver­si­tés bio­lo­giques mes­si­coles, prai­riales, pour les espaces inter­par­cel­laires, et pour l’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té bio­lo­gique des cours d’eau et du lit­to­ral. Des amé­lio­ra­tions effec­tives devront donc être réa­li­sées pour que l’ef­fi­ca­ci­té des mesures de réduc­tion de la pol­lu­tion par les nitrates ait un effet consta­té sur la biodiversité.

En matière de pes­ti­cides, la France s’est enga­gée dans une poli­tique de réduc­tion du nombre des matières actives auto­ri­sées. Elle reste le second consom­ma­teur de pes­ti­cides au monde (3 kg/ha/an). En 2003, 95 % des points de sui­vi de la qua­li­té des eaux de sur­face pré­sentent une des espèces chi­miques sen­sibles ou néces­sitent un trai­te­ment de type déni­tra­ta­tion et char­bon actif pour l’ob­ten­tion d’eau potable. Les masses d’eau sou­ter­raines (nappes) risquent de ne pas atteindre le bon état éco­lo­gique deman­dé par la Direc­tive cadre euro­péenne sur l’eau du fait des pes­ti­cides ou des nitrates. De plus de nom­breux points de cap­tages de l’eau sont aban­don­nés du fait d’un dépas­se­ment des normes impo­sées à l’eau brute. Bien qu’un effort impor­tant reste donc à faire dans ce domaine, la négo­cia­tion d’une réduc­tion quan­ti­fiée des quan­ti­tés et doses de pes­ti­cides épan­dues en France n’a pu abou­tir faute de sou­tien, contrai­re­ment à ce qui est mis en place actuel­le­ment dans plu­sieurs États membres de la Com­mu­nau­té européenne.

Par ailleurs, l’É­tat s’en­gage offi­ciel­le­ment à accom­pa­gner la réforme des sys­tèmes d’ex­ploi­ta­tion afin qu’ils intègrent mieux des objec­tifs de ges­tion durable des milieux et de leur diver­si­té bio­lo­gique et pay­sa­gère. L’a­gri­cul­ture bio­lo­gique couvre 1,4 % de la sur­face agri­cole et concerne près de 2 % des agri­cul­teurs, alors que nos voi­sins euro­péens atteignent jus­qu’à 10 % de sur­faces agri­coles utiles (SAU) (Ita­lie, Allemagne).

L’a­gri­cul­ture rai­son­née, qui devrait, selon les vœux de ses ins­ti­ga­teurs, qua­li­fier 30 % des exploi­ta­tions en 2008, vise à réduire les impacts néga­tifs, notam­ment en termes d’in­trants, sur la diver­si­té bio­lo­gique des cam­pagnes, en veillant à un meilleur res­pect de la régle­men­ta­tion (pour envi­ron 80 % des mesures de l’a­gri­cul­ture raisonnée).

Les approches contrac­tuelles ter­ri­to­riales (Contrat ter­ri­to­rial d’exploitation/Contrat d’a­gri­cul­ture durable) et les mesures agri-envi­ron­ne­men­tales per­mettent à des agri­cul­teurs de s’en­ga­ger dans des démarches appro­fon­dies, en par­ti­cu­lier dans la coges­tion d’es­paces du réseau Natu­ra 2000.

Le déve­lop­pe­ment consta­té de liens entre les démarches de qua­li­té (Apel­la­tion d’o­ri­gine contro­lée, IGP, labels, etc.) et la prise en compte d’exi­gences envi­ron­ne­men­tales laissent éga­le­ment entre­voir des pos­si­bi­li­tés impor­tantes de valo­ri­sa­tion com­mer­ciale de la qua­li­té envi­ron­ne­men­tale des ter­roirs de France et de leurs métiers. Une évo­lu­tion de la poli­tique natio­nale des signes offi­ciels de qua­li­té serait alors néces­saire, car contrai­re­ment aux autres États membres euro­péens, la France dis­pose d’une pano­plie très limi­tée d’ou­tils de cer­ti­fi­ca­tion agro-environnementale.

L’ap­pli­ca­tion crois­sante des normes envi­ron­ne­men­tales ISO 14 000 aux pro­ces­sus de pro­duc­tion agri­cole ouvre éga­le­ment de nou­velles voies, mais ne va guère au-delà de la régle­men­ta­tion, comme l’a­gri­cul­ture rai­son­née. Enfin, l’in­té­gra­tion des pro­blé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales et éco­lo­giques aux pro­grammes de for­ma­tion ini­tiale et conti­nue des agri­cul­teurs et de leur enca­dre­ment devrait consti­tuer un aspect essen­tiel de la poli­tique fran­çaise en matière de ges­tion de l’en­vi­ron­ne­ment rural.

L’u­ti­li­sa­tion des res­sources géné­tiques végé­tales a été pro­fon­dé­ment modi­fiée au cours du siècle der­nier en pas­sant de l’u­ti­li­sa­tion d’une par­tie de la pro­duc­tion comme semences avec forte varia­bi­li­té inter­ré­gio­nale, à la mise en place d’une filière semences struc­tu­rée et per­for­mante en termes de créa­tion varié­tale. Elle s’ac­com­pagne d’une régle­men­ta­tion qui défi­nit ce qu’est une varié­té et encadre la com­mer­cia­li­sa­tion de semences.

Les res­sources géné­tiques dis­po­nibles sur le ter­ri­toire natio­nal ont été ras­sem­blées en col­lec­tions et enri­chies de res­sources étran­gères. Cette orga­ni­sa­tion a eu le mérite de répondre aux exi­gences du modèle pro­duc­ti­viste, mais elle réduit inévi­ta­ble­ment la diver­si­té dis­po­nible et n’as­sure pas le main­tien des varié­tés anciennes.

Une liste de varié­tés » ama­teur » en espèces pota­gères et d’arbres frui­tiers a été consti­tuée, mais ce n’est qu’une adap­ta­tion ad hoc de la régle­men­ta­tion qui ne résout pas le pro­blème de fond, et notam­ment le fait que les mar­chés glo­ba­li­sés sont appro­vi­sion­nés par des pro­duits moins divers que les mar­chés locaux. Cette orga­ni­sa­tion, basée sur l’ho­mo­gé­néi­té de la varié­té, ne répond pas non plus aux besoins d’une approche agro­no­mique qui mise­rait sur la diver­si­té des semences, notam­ment pour limi­ter le recours aux pesticides.

Le déve­lop­pe­ment d’or­ga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés consti­tue un tour­nant dans l’his­toire de la bio­di­ver­si­té. D’un point de vue tech­no­lo­gique et agro­no­mique, il ouvre par­fois de nou­velles pers­pec­tives en matière de ren­de­ments, de san­té, de réduc­tion d’in­trants ; cepen­dant, ces avan­tages doivent encore être confir­més dans un contexte d’o­pi­nion publique euro­péen très lar­ge­ment défa­vo­rable aux OGM.

Par ailleurs, d’un point de vue de la rela­tion aux semences, ces tech­no­lo­gies ren­forcent la dépen­dance du sec­teur agri­cole aux grandes socié­tés semen­cières. Enfin, l’emploi à grande échelle des orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés com­porte encore beau­coup d’in­cer­ti­tudes quant à ses consé­quences pos­sibles sur la bio­di­ver­si­té, qu’un cer­tain nombre d’ex­perts jugent nocives. En par­ti­cu­lier, les méca­nismes d’un trans­fert de gènes modi­fiés d’es­pèces culti­vées allo­games à leurs cou­sines sau­vages sont éta­blis mais les effets en sont dif­fi­ci­le­ment pré­vi­sibles ; des toxi­ci­tés non dési­rées sur l’en­to­mo­faune sau­vage ont éga­le­ment été documentées.

Les tra­vaux scien­ti­fiques doivent donc se pour­suivre sur ces points et le sui­vi de la bio­di­ver­si­té agri­cole et rurale doit inté­grer la mesure des impacts, et notam­ment de la dis­per­sion pos­sible des gènes alloch­tones dans les popu­la­tions naturelles.

Conclusion

L’a­gri­cul­ture et les acti­vi­tés rurales consti­tuent un enjeu pri­mor­dial pour la ges­tion durable de la bio­di­ver­si­té en France. Elles contri­buent à la ges­tion de milieux vivants, semi-natu­rels ou natu­rels qui hébergent, sur près des deux tiers du ter­ri­toire, l’es­sen­tiel du patri­moine vivant natio­nal. Par ailleurs, les milieux pré­sen­tant une diver­si­té bio­lo­gique impor­tante sont favo­rables à une agri­cul­ture plus éco­nome, moins dépen­dante des res­sources non renou­ve­lables et moins pol­luante, de même qu’une agri­cul­ture géné­ra­le­ment res­pec­tueuse de l’en­vi­ron­ne­ment est favo­rable à la biodiversité.

Si les réformes suc­ces­sives de la PAC ont per­mis d’in­té­grer la prise en compte de ce patri­moine, les effets des poli­tiques de sou­tien à l’a­gri­cul­ture sur la diver­si­té bio­lo­gique des milieux ruraux res­tent glo­ba­le­ment défa­vo­rables. Ces effets sont à lier au dés­équi­libre entre les mesures sou­te­nant, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, des sys­tèmes de pro­duc­tion inten­sifs et la spé­cia­li­sa­tion régio­nale, et les mesures agro-envi­ron­ne­men­tales et rurales, mar­gi­nales en termes de moyens et de sur­faces, et dont les effets locaux et glo­baux sur la bio­di­ver­si­té res­tent très lar­ge­ment insuffisants.

Un obser­va­toire sys­té­ma­tique des effets des pra­tiques agri­coles et de leur évo­lu­tion sur la diver­si­té bio­lo­gique des milieux ruraux, avec un éven­tail d’in­di­ca­teurs, est en train d’être mis en place (« réseau 1 000 par­celles ») et ses résul­tats sont atten­dus. Le Plan d’ac­tion agri­cul­ture de la stra­té­gie natio­nale pour la diver­si­té bio­lo­gique adop­té en novembre 2005 met en avant la com­plé­men­ta­ri­té des actions à l’é­chelle du ter­ri­toire agro-éco­lo­gique, de la par­celle et des res­sources géné­tiques, dans le cadre d’une amé­lio­ra­tion de la connais­sance et des échanges tech­niques entre acteurs.

À terme, la bio­di­ver­si­té en milieu rural béné­fi­cie­rait sans nulle doute d’une réorien­ta­tion majeure des poli­tiques publiques de sou­tien, au pro­fit de la qua­li­té, des spé­ci­fi­ci­tés locales et de l’emploi, et de la rému­né­ra­tion des ser­vices environnementaux.

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