Bien plus que signer des contrats

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Dominique LAGARDE (85)

Le nucléaire pré­sente de nom­breux atouts qui ne se démodent pas : pro­duc­tion concen­trée, géné­rant des emplois indus­triels et des ser­vices, indé­pen­dance éner­gé­tique, pas d’émission de CO2.

Il trouve ain­si sa place dans les pro­jec­tions à long terme aux côtés des autres modes de pro­duc­tion d’électricité, à savoir les cen­trales à gaz, au char­bon, l’hydroélectricité et, pour une part crois­sante, les éner­gies nouvelles.

REPÈRES
En Chine se bâtissent plus du tiers des soixante-quatre cen­trales nucléaires en construc­tion dans le monde. La Rus­sie, l’Inde, la Corée du Sud ont un pro­gramme de construc­tion de cen­trales sou­te­nu par des réa­li­sa­tions en cours. La Fin­lande, le Royaume-Uni, la Répu­blique tchèque, la Pologne ont adop­té des poli­tiques publiques pré­voyant de nou­velles cen­trales et dont la mise en œuvre est en cours.
Un grand nombre de pays ins­truisent le déve­lop­pe­ment d’un pro­gramme nucléaire et mul­ti­plient dans ce but les contacts inter­na­tio­naux, indus­triels et poli­tiques. C’est, par exemple, le cas de la Malai­sie, de l’Arabie Saou­dite et du Bré­sil. Aux États-Unis, qui, à court terme, pro­fitent de l’exploitation des gaz de schiste, quatre nou­velles cen­trales nucléaires sont en construc­tion, ce qui consti­tue autant une option de long terme pour l’alimentation élec­trique natio­nale qu’une réfé­rence en sou­tien de leur indus­trie à l’export.

Faire des choix avisés

Le Royaume-Uni a un besoin de renou­vel­le­ment de ses moyens de pro­duc­tion et doit, pour ce qui relève de l’approvisionnement en com­bus­tible, faire face à l’arrêt de sa pro­duc­tion de gaz en mer du Nord. Sa poli­tique est tour­née avec déter­mi­na­tion vers l’émergence de moyens de pro­duc­tion non émet­teurs de CO2. Avec le nucléaire, le Royaume-Uni fait d’une pierre deux coups : il satis­fait les objec­tifs de sa poli­tique éner­gé­tique, il relance éga­le­ment l’activité indus­trielle du pays.

On a quand même besoin de cou­rant tous les jours

L’Arabie Saou­dite, elle, ne manque pas de pétrole pour pro­duire de l’électricité. Mais, forte d’une vision à long terme, elle met en place une plus grande diver­si­té dans ses moyens de pro­duc­tion pour mieux valo­ri­ser, par l’exportation, son pétrole et pour déve­lop­per son économie.

En France, la ques­tion est moins de savoir com­bien de cen­trales il fau­drait arrê­ter que de faire des choix avi­sés sur les futurs moyens de pro­duc­tion. On a quand même besoin de cou­rant tous les jours, et les emplois concer­nés ne sont pas éco­no­mi­que­ment menacés.

La conjonction des astres

La volon­té poli­tique est affi­chée, les ven­deurs de tech­no­lo­gies et de ser­vices sont très actifs pour pré­sen­ter leurs offres, et pour­tant les déci­sions de lan­ce­ment des pro­jets sont plu­tôt rares. Lan­cer le pro­jet d’une cen­trale nucléaire est en effet une déci­sion exigeante.

S’inscrire dans la durée
L’appréciation des per­for­mances du nucléaire s’inscrit dans la durée. Les per­for­mances reposent sur des fac­teurs tech­no­lo­giques et sur la prise en compte des carac­té­ris­tiques des sites. Elles reposent aus­si sur des fac­teurs humains et socié­taux, le main­tien des com­pé­tences dans la durée, la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des acteurs, la qua­li­té du tis­su indus­triel local et la capi­ta­li­sa­tion de l’expérience afin d’assurer l’amélioration conti­nue des performances.

Exi­geante, car elle néces­site l’adhésion natio­nale. Construire une cen­trale est un enga­ge­ment de long terme, de près d’un siècle, en incluant construc­tion, exploi­ta­tion et déman­tè­le­ment, qui engage au-delà d’un camp poli­tique don­né. Et cela d’autant plus que le nucléaire est une acti­vi­té indus­trielle à risque fai­sant l’objet d’une sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière de l’opinion.

Exi­geante, car elle engage des sommes impor­tantes. Une cen­trale nucléaire repré­sente un enga­ge­ment finan­cier de plu­sieurs mil­liards d’euros. À cela, il faut ajou­ter que la pro­duc­tion de richesses cor­res­pon­dant à cet inves­tis­se­ment inter­vient au moment de la pro­duc­tion d’électricité, à savoir entre cinq et dix ans après la mise de fonds. Beau­coup de pla­ce­ments peuvent paraître moins ris­qués aux investisseurs.

Exi­geante, aus­si, car elle néces­site un haut niveau de tech­ni­ci­té de la part des acteurs concer­nés : le concep­teur de l’installation qui doit garan­tir sûre­té et capa­ci­té à construire en maî­tri­sant les coûts, les délais et la qua­li­té ; l’exploitant futur de la cen­trale ; les four­nis­seurs ; ain­si que les enti­tés de contrôle.

Exi­geante, enfin, car ce type de déci­sion revêt sou­vent une dimen­sion géo­po­li­tique : proxi­mi­té des sites avec une fron­tière, trans­fert de tech­no­lo­gie, enjeux diplo­ma­tiques autres.

Ain­si, la déci­sion se prend au moment où ces dimen­sions finan­cières, indus­trielles et poli­tiques convergent. Si l’on cherche à vendre dans ce métier, mieux vaut ins­crire sa vision dans le temps pour sai­sir le moment de cette convergence.

Succès de chaque jour, succès d’un siècle

Le suc­cès indus­triel du nucléaire tient à la maî­trise dans la durée de la sûre­té et des coûts de revient de la pro­duc­tion. Deux objec­tifs et autant de res­pon­sa­bi­li­tés qui sont por­tées par « une seule tête », celle de l’exploitant nucléaire. À lui de tenir la barre pen­dant toutes les phases industrielles.

De ce point de vue, la situa­tion mon­diale est contras­tée. Cer­tains exploi­tants, aux forces d’ingénierie réduites ou inexis­tantes, se reposent lar­ge­ment sur leurs four­nis­seurs de tech­no­lo­gies, au risque de dis­so­cier com­pé­tences (chez les four­nis­seurs) et res­pon­sa­bi­li­té (chez l’exploitant).

D’autres, à l’image d’EDF, se reposent sur leur ingé­nie­rie « mai­son » pour capi­ta­li­ser l’expérience, de la concep­tion au déman­tè­le­ment en pas­sant par l’exploitation, et ain­si maî­tri­ser les risques aus­si bien en matière de sûre­té que de qua­li­té et de coûts.

Dans le temps du pro­ces­sus de choix de la tech­no­lo­gie pour un pro­jet neuf, sou­vent orga­ni­sé sous forme d’appel d’offres, se pré­parent aus­si le tour de table des inves­tis­seurs et le finan­ce­ment, l’identification des sites rece­vables, la for­ma­tion des res­pon­sables des pro­jets et de leurs équipes, la mobi­li­sa­tion du tis­su indus­triel local existant.

Tenir ses promesses

La sûre­té, un des points forts de l’EPR en construction

Le choix de la tech­no­lo­gie de réac­teur est bien sûr un moment impor­tant de la pré­pa­ra­tion d’un pro­jet neuf. Il contri­bue pour une grande part au coût de revient futur du « méga­watt­heure ». La robus­tesse de la concep­tion est aus­si un solide point de départ pour assu­rer la sûre­té pen­dant la phase d’exploitation. C’est un des points forts de l’EPR, en cours de construc­tion en France, en Chine et en Finlande.

La bataille à laquelle se livrent les ven­deurs de tech­no­lo­gies est rude. Il leur faut gagner à l’issue du pro­ces­sus de sélec­tion et en même temps créer les condi­tions pour que ce suc­cès de court terme soit éga­le­ment un suc­cès dans la durée. Il faut faire les offres les plus atti­rantes en s’adaptant aux spé­ci­fi­ca­tions du client, tenir les pro­messes dans la phase de construc­tion et pro­fi­ter des pro­jets en cours pour amé­lio­rer les produits.

Les four­nis­seurs les plus durables seront ceux qui sau­ront asso­cier leurs forces avec des exploi­tants forts, dans une vision com­bi­nant vic­toire com­mer­ciale et per­for­mance indus­trielle à long terme.

Chantier de Flamanville 3.
Chan­tier de Fla­man­ville 3.

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