Bicentenaire de la campagne d’Égypte

Dossier : ExpressionsMagazine N°539 Novembre 1998Par : Madeleine de FUENTES, conservateur en chef de la bibliothèque de l’X

Nous ne revien­drons pas sur les causes de cette cam­pagne d’Égypte, car on s’interroge tou­jours sur la rai­son qui a conduit le géné­ral Bona­parte à entre­prendre cette cam­pagne, âgé de 29 ans, pous­sé par l’élan de la Révo­lu­tion, auréo­lé des vic­toires de la cam­pagne d’Italie : Maren­go, Arcole… mais gênant pour le Direc­toire : rai­son poli­tique, stra­té­gique ou bien le rêve d’Orient d’un jeune géné­ral nour­ri des gloires mili­taires d’Alexandre et de Jules César ?

Le débat his­to­rio­gra­phique n’est pas clos ; il reste que les 36 000 sol­dats fran­çais, par­mi les meilleurs de l’époque et les 16 000 marins qui font voile à par­tir du 19 mai 1798 vers l’Égypte au départ de Tou­lon, Ajac­cio, Gênes et Civi­ta­vec­chia, consti­tuent l’armée fran­çaise la plus nom­breuse à avoir tra­ver­sé la Méditerranée.

C’est seule­ment après la prise de Malte, le 10 juin, que le corps expé­di­tion­naire est aver­ti de la des­ti­na­tion finale.

La troupe qui s’embarque pour l’Égypte sur une flotte com­po­sée de bric et de broc (car si les gou­ver­ne­ments de la Révo­lu­tion ont valo­ri­sé l’armée des volon­taires, ils ont gran­de­ment contri­bué à la des­truc­tion de la marine “ la royale ”) est l’armée de la levée en masse qui s’est for­mée à Val­my, en Ita­lie et qui s’est équi­pée en cam­pagne : uni­forme et arme­ment de récu­pé­ra­tion comme les navires qui consti­tuent la flotte mais dotée en revanche d’une confiance inébran­lable dans son chef le géné­ral Bona­parte qui incarne la Révo­lu­tion et la victoire.

Face à elle : la flotte anglaise, la meilleure du monde com­man­dée par l’amiral Nel­son. La chance est avec Bona­parte : le brouillard tombe sur la Médi­ter­ra­née et Nel­son croise sans jamais la voir la flotte fran­çaise qui débarque à Alexan­drie le 1er juillet ; l’armée, après avoir tra­ver­sé le del­ta, sous une cha­leur tor­ride, vêtue de cos­tume de drap de laine, effrayée par les mirages (Monge aidé de Lar­rey expli­que­ront à la troupe et aux offi­ciers ce phé­no­mène res­pon­sable de l’arrêt de la troupe à cause de la peur qu’il avait engen­drée) rem­porte la célèbre vic­toire des pyra­mides sur les Mamelouks.

Cette cam­pagne mili­taire com­men­cée par la vic­toire se sol­de­ra par un échec occul­té par un bilan cultu­rel et scien­ti­fique exceptionnel.

L’idée de génie de Bona­parte est d’avoir dou­blé l’expédition mili­taire d’une expé­di­tion scien­ti­fique. Ce géné­ral, membre de l’Institut, qui se vou­lait d’abord mathé­ma­ti­cien, avait ren­con­tré en Ita­lie Gas­pard Monge qu’il sub­ju­gua, et lui confia la charge de recru­ter des savants et des ingé­nieurs pour cette expé­di­tion. Monge étant direc­teur de l’École poly­tech­nique se trou­va face à un dilemme, suivre Bona­parte ou res­ter avec ses élèves ;

Bona­parte tran­cha : emme­ner les élèves ! Monge ne dépla­ça pas toute l’École, une qua­ran­taine d’élèves (neuf d’entre eux y trou­vèrent la mort) accom­pa­gnés de deux pro­fes­seurs, Fou­rier et Ber­thol­let, sui­virent. L’examen de sor­tie fut pas­sé sur place, mal­heu­reu­se­ment aucune trace des épreuves ne nous est parvenue.

La chance qui accom­pa­gnait Bona­parte accom­pa­gnait éga­le­ment l’École : la pierre de Rosette (qui per­met­tra plus tard à Cham­pol­lion de déchif­frer les hié­ro­glyphes) est décou­verte par l’élève Bouchard…

Le corps des savants et ingé­nieurs com­pre­nait 167 membres : mathé­ma­ti­ciens, astro­nomes, natu­ra­listes, ingé­nieurs, chi­mistes, méde­cins, peintres, lit­té­ra­teurs et musi­ciens. Le résul­tat de leurs tra­vaux sera publié dans la Des­crip­tion de l’Égypte, dont Jomard, un ancien élève, fut le maître d’œuvre.

Nous pré­sen­tons dans cette expo­si­tion un point de vue de cette cam­pagne : celui de l’École poly­tech­nique. Ce que nous expo­sons est lié aux élèves et à leurs pro­fes­seurs. Vous y ver­rez néan­moins des choses extra­or­di­naires : un dro­ma­daire (qui per­met­tait aux savants et aux mili­taires de se dépla­cer), le sabre du colo­nel Cava­lier, com­man­dant le régi­ment des dro­ma­daires, une réplique de la pierre de Rosette, un nilo­mètre, le livre le plus grand de l’édition fran­çaise et poly­tech­ni­cienne (110 x 71 cm), son meuble des­si­né par Jomard (X 1794), une machine à gra­ver créée par Conté, l’obélisque de la Concorde (réplique de la manu­fac­ture de Sèvres) rame­né en 1836 par Lebas (X 1816), de Joan­nis (X 1821) et Leva­vas­seur (X 1824) et devant lequel les élèves ter­minent le défi­lé et bien d’autres choses encore…

L’exposition a lieu dans le cou­loir des expo­si­tions, dans les vitrines de la poste, à la biblio­thèque sur plu­sieurs niveaux.

Cette expo­si­tion est par­ti­cu­liè­re­ment dédiée à la mémoire de René de Vil­liers du Ter­rage (X 1796) auteur du Jour­nal et sou­ve­nirs d’Égypte 1798–1801, témoi­gnage excep­tion­nel d’un élève.

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