Auguste Comte…, Averroès

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°575 Mai 2002Par : Bulletin n° 30 de la Société des amis

Auguste Comte aujourd’hui, tel était le thème d’un col­loque orga­ni­sé l’an der­nier par des uni­ver­si­taires spé­cia­listes de l’œuvre du phi­lo­sophe. Leurs échanges ont por­té notam­ment sur la valeur des argu­ments que la phi­lo­so­phie posi­tive et le posi­ti­visme pour­raient encore pro­po­ser pour ali­men­ter la réflexion poli­tique aujourd’hui. Sans attendre la paru­tion des actes de cette réunion, Bru­no Gen­til (54) a ras­sem­blé quelques textes rela­ti­ve­ment brefs pour com­po­ser un bul­le­tin de la Sabix, qui fait suite à ses deux articles remar­quables impri­més dans La Jaune et la Rouge à l’occasion du bicen­te­naire de la nais­sance du phi­lo­sophe (juin 98 et jan­vier 99).

Bru­no Gen­til, qui pré­side l’association inter­na­tio­nale La mai­son d’Auguste Comte, relate les grandes étapes de l’histoire du mou­ve­ment posi­ti­viste, depuis les der­nières années du maître, jusqu’à nos jours. Une his­toire inté­res­sante et ins­truc­tive. Elle met en scène des hommes de rai­son, géné­reux, ani­més par l’enthousiasme pour une phi­lo­so­phie poli­tique et sociale visant à réor­ga­ni­ser la socié­té, qui se déve­loppe en une reli­gion de l’Humanité accom­pa­gnée de l’institution d’un véri­table culte. Mais des diver­gences sur les prin­cipes, qui dégé­nèrent par­fois en luttes de pou­voir, pro­voquent des scis­sions et conduisent au déclin de la Socié­té posi­ti­viste. La rela­tion se conclut par le texte de l’allocution pro­non­cée par Bru­no Gen­til le 4 octobre 2001 à l’Unesco, en hom­mage à Pau­lo Carneiro.

Ce grand huma­niste, long­temps ambas­sa­deur du Bré­sil à l’Unesco, posi­ti­viste accom­pli, fon­da­teur de La Mai­son d’Auguste Comte, a œuvré pen­dant cin­quante ans pour sau­ve­gar­der l’appartement, la biblio­thèque et le fonds de manus­crits du phi­lo­sophe, sans hési­ter à enga­ger ses propres deniers dans cette opé­ra­tion. Grâce à son action opi­niâtre l’appartement, monu­ment his­to­rique et pro­prié­té de l’association, demeure un foyer de ral­lie­ment intel­lec­tuel, un musée, centre de docu­men­ta­tion et de recherches sur l’œuvre de Comte et de ses disciples.

Bru­no Gen­til pré­sente un docu­ment pré­cieux pour les cher­cheurs, les notes que Comte, élève à l’École poly­tech­nique, rédi­geait quo­ti­dien­ne­ment pour gar­der la mémoire des cours sui­vis dans la jour­née. Il résume aus­si un expo­sé de Jean Dhombres sur La pos­té­ri­té mathé­ma­tique d’Auguste Comte, cen­tré sur le Trai­té élé­men­taire de géo­mé­trie ana­ly­tique paru en 1843. Cet ouvrage peu dif­fu­sé parce qu’il s’écartait trop des normes n’est pas seule­ment un excellent trai­té d’enseignement, mais il appa­raît “ comme la pre­mière ten­ta­tive sérieuse d’un retour de la phi­lo­so­phie sur la scène savante ”.

Michel Bour­deau, en résu­mant les conclu­sions du col­loque, affirme sa convic­tion que la pen­sée poli­tique d’Auguste Comte, tenue à tort comme défi­ni­ti­ve­ment dépas­sée, mérite d’être sérieu­se­ment rééva­luée. Consta­tant l’influence des posi­ti­vistes au début du XXe siècle, en Grande-Bre­tagne, en Bel­gique, au Bré­sil…, il estime néces­saire de s’interroger sur ce qui a pu inté­res­ser à ce point nos pré­dé­ces­seurs afin de déga­ger les idées sus­cep­tibles d’éclairer nos réflexions aujourd’hui.

Juliette Grange ana­lyse les prin­cipes de la poli­tique posi­ti­viste, conçus par Comte à par­tir de sa réflexion sur la science. Ce “ pro­gramme”, qui repo­sait sur “ le heurt et la com­plé­men­ta­ri­té ” d’un pou­voir tem­po­rel et d’un pou­voir spi­ri­tuel aux attri­bu­tions défi­nies de façon peu pré­cise, ne pro­po­sait pas de mesures poli­tiques claires, “d’idéologie résumable”.

Loué par des per­son­na­li­tés de tous bords poli­tiques, mais dif­fi­ci­le­ment appli­cable, il n’a pas été mis en appli­ca­tion. Pour­tant Comte nous four­nit des ins­tru­ments de pen­sée qui per­mettent de poser de “ manière neuve et radi­cale ” des pro­blèmes contem­po­rains, tou­chant notam­ment à la poli­tique indus­trielle, aux consé­quences poli­tiques de l’application tech­nique, au degré d’autonomie sou­hai­table pour la recherche fondamentale.

Ce bul­le­tin com­prend aus­si une courte note d’Angèle Kre­mer-Mariet­ti concer­nant le regard por­té par Auguste Comte sur l’Islam, une brève des­crip­tion de “ l’appartement sacré ” par Auré­lia Gius­ti, et une pré­sen­ta­tion du fonds Auguste Comte conser­vé par la biblio­thèque de l’École poly­tech­nique, rédi­gée par Clau­dine Billoux, archi­viste de la bibliothèque.

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Dans la même livrai­son la Sabix pro­pose un texte concis et dense écrit par Alexandre Mal­lat (38). Biblio­phile pas­sion­né, celui-ci pré­sente un manus­crit, copie réa­li­sée en 1425 d’une tra­duc­tion en hébreu d’un com­men­taire écrit par Aver­roès au XIIe siècle sur La Phy­sique d’Aristote. À pro­pos de ce pré­cieux docu­ment Alexandre Mal­lat évoque briè­ve­ment les che­mi­ne­ments qui, grâce à des hommes éru­dits, épris de rai­son et tolé­rants, et à tra­vers plu­sieurs civi­li­sa­tions suc­ces­sives, ont per­mis aux huma­nistes de la Renais­sance de prendre connais­sance des concepts fon­da­teurs de la phi­lo­so­phie grecque. Un texte sobre mais qui ouvre à notre réflexion une si large perspective !

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Nous recom­man­dons ce bul­le­tin à l’attention des lec­teurs qui s’intéressent à la phi­lo­so­phie et à la cri­tique des idées poli­tiques. Avec enthou­siasme nous leur pro­po­sons mieux encore, au prix d’une modeste coti­sa­tion, adhé­rer à la Sabix afin de sou­te­nir la biblio­thèque de l’École poly­tech­nique, ins­ti­tu­tion remar­quable mais peu connue, et qui offre aux recherches un fonds par­ti­cu­liè­re­ment riche.

Les lec­teurs inté­res­sés peuvent prendre contact avec madame Anne Eyral, tél. : 01.69.33.40.42.

Commentaire

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Emma­nuel Lazi­nier (ano­nyme)répondre
9 juillet 2013 à 15 h 39 min

La poli­tique posi­ti­viste, floue et inapplicable ?

On croit rêver à lire de telles choses ! Le pro­gramme poli­tique de Comte était des plus concrets et ses dis­ciples, peu nom­breux il est vrai (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/disciple/index.xml), se sont illus­trés par de beaux com­bats direc­te­ment ins­pi­rés des direc­tives de leur maître : – abo­li­tion de l’es­cla­vage (réa­li­sée au Bré­sil sous l’im­pul­sion des posi­ti­vistes) – aban­don total du colo­nia­lisme ; paci­fi­ca­tion des rela­tions inter­na­tio­nales – droits syn­di­caux et légis­la­tion sociale


Sur ces deux der­nier points les dis­ciples grands-bre­tons de Comte se sont par­ti­cu­liè­re­ment illus­trés (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/disciple/britain/a_b_gb.xml) – sépa­ra­tion des Églises et de l’É­tat – etc. Il y a même eu, de 1890 à 1930, une mini expé­rience de régime poli­tique com­tiste dans l’é­tat bré­si­lien du Rio Grande do Sul (voir http://membres.multimania.fr/clotilde/acetbres.xml) Entre autres choses, Comte deman­dait « que les Arabes expulsent éner­gi­que­ment les Fran­çais de l’Al­gé­rie, si ceux-ci ne savent pas la leur res­ti­tuer dignement ».


C’é­tait clair et par­fai­te­ment appli­cable, comme la suite l’a mon­tré ! Jusque dans les années 1950, il s’est trou­vé des dis­ciples pour décli­ner les ensei­gne­ments poli­tiques de Comte, de manière concrète et plu­tôt pro­phé­tique (voir par exemple http://membres.multimania.fr/clotilde/etexts/bresil/satellite.xml)

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