Après Fukushima : comment communiquer sur le nucléaire ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°687 Septembre 2013
Par Valérie FAUDON (84)

Dès le début de l’accident de Fuku­shi­ma, et après les pre­mières inquié­tudes concer­nant de pos­sibles consé­quences radio­lo­giques de l’accident hors du Japon, les médias sol­li­citent les dif­fé­rents experts et porte-parole de l’industrie nucléaire pour expli­quer et com­men­ter l’accident.

Ils leur posent aus­si, sou­vent au cours de débats avec des oppo­sants, la ques­tion la plus impor­tante pour le public : « Est-ce qu’un tel acci­dent peut se pro­duire chez nous, sur nos centrales ?»

Un désastre naturel

Est-ce qu’un tel acci­dent peut se pro­duire chez nous, sur nos centrales ?

Ques­tion d’autant plus per­ti­nente qu’il s’agit cette fois, à la dif­fé­rence de l’URSS de Tcher­no­byl, d’un pays répu­té pour sa sophis­ti­ca­tion tech­no­lo­gique. Le public com­prend que l’origine de l’accident est un désastre natu­rel excep­tion­nel : un trem­ble­ment de terre d’amplitude 9.0, sui­vi d’un tsunami.

Il s’initie aus­si, au fil des débats, au fonc­tion­ne­ment tech­nique d’une cen­trale nucléaire : il apprend par exemple qu’il faut conti­nuer à refroi­dir le cœur même après la mise à l’arrêt de la cen­trale, ou découvre le rôle des pis­cines de déchargement.

Alors que la ques­tion des déchets et du risque ter­ro­riste était, avant l’accident, la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion des Euro­péens en matière nucléaire1, la ques­tion de la sûre­té lors du fonc­tion­ne­ment des cen­trales revient au pre­mier plan. La confiance se réta­blit néan­moins dans les mois qui suivent, à la faveur de la publi­ca­tion des résul­tats des stress tests et véri­fi­ca­tions de sûre­té dans l’ensemble des pays.

Réta­blir la confiance
Réa­li­sée dix-huit mois après l’accident dans vingt-quatre pays, une étude Ipsos Mori montre que la pro­por­tion des per­sonnes inter­ro­gées qui se disent très favo­rables à l’énergie nucléaire a rega­gné en moyenne 14 points entre avril 2011 et sep­tembre 20122. En France, le gain est de 32 points. Reflet de la confiance envers les auto­ri­tés de sûre­té – très proac­tives et trans­pa­rentes pen­dant l’accident, elles ont confor­té leur cré­di­bi­li­té auprès du grand public –, ce gain peut aus­si être relié à la réa­li­sa­tion et la publi­ca­tion des éva­lua­tions com­plé­men­taires de sûre­té (ECS) sur les ins­tal­la­tions nucléaires, et à l’annonce du plan de tra­vaux d’EDF sur le parc des centrales.
Cette res­tau­ra­tion de la confiance aura été fina­le­ment très rapide en com­pa­rai­son avec l’accident de Tcher­no­byl, pour lequel il avait fal­lu presque quinze ans. L’étude montre au total sur tous les pays 45 % d’opinions en faveur du nucléaire, avec des écarts très signi­fi­ca­tifs entre des pays comme les États-Unis (66 %), le Royaume-Uni (59%) ou la Pologne (53 %), et à l’opposé l’Allemagne (26 %) ou le Japon (36 %).

Apprivoiser les réseaux sociaux

L’information sur l’accident passe désor­mais aus­si bien sûr par Inter­net et les médias sociaux. Le volume des men­tions du terme nuclear ener­gy sur Inter­net est mul­ti­plié par 20 entre février 2011 et mars 2011, avec entre autres les com­men­taires de per­son­na­li­tés connues sur Twit­ter, pro­pa­gés auprès de leurs nom­breux abonnés.

Com­mu­ni­quer en temps de crise
Au mois de mars 2011, les experts nucléaires sont confron­tés à de sérieux défis pour garan­tir la trans­pa­rence de l’information rela­tive à l’accident. Au Japon, Tep­co, débor­dé dans les trois pre­miers jours, ne publie ensuite qu’en japo­nais. Le Japon Ato­mic Indus­trial Forum (JAIF), forum des indus­triels, se voit alors confier la publi­ca­tion de l’information en anglais.
Il publie quo­ti­dien­ne­ment sur son site un réca­pi­tu­la­tif détaillé sur les évé­ne­ments de la jour­née et l’état des réac­teurs. Mal­heu­reu­se­ment, l’inventaire comp­te­ra encore pen­dant de nom­breuses semaines beau­coup d’inconnues, et l’information mise en ligne par le JAIF, très tech­nique, reste com­pré­hen­sible par les seuls spécialistes.
En France, l’ASN et l’IRSN, qui publient en fran­çais sur leur site des infor­ma­tions com­pré­hen­sibles par des audiences non tech­niques, res­tent rela­ti­ve­ment peu connus du grand public.

Le volume retombe sou­dai­ne­ment dès le mois d’avril au même niveau qu’avant l’accident. Tou­jours selon l’étude Ipsos Mori, un peu plus de la moi­tié des per­sonnes inter­ro­gées jugent en avril 2011 que les offi­ciels japo­nais com­mu­niquent de manière « hon­nête » et « en temps réel ». Dans un tel contexte, on peut se dire que ce n’est fina­le­ment pas si mal : en tout cas, c’est beau­coup mieux qu’avant.

Cepen­dant les médias tra­di­tion­nels, foca­li­sés sur la par­tie ini­tiale évé­ne­men­tielle de l’accident, réduisent rapi­de­ment leur cou­ver­ture, pour ne s’intéresser de nou­veau à l’accident qu’à l’occasion des anni­ver­saires. Deux ans après l’accident, quel bilan tirer sur les médias, qu’ils soient tra­di­tion­nels ou Internet ?

Confusions médiatiques

Un pre­mier point tout d’abord : la confu­sion aujourd’hui est très grande, dans les grands médias, sur l’information concer­nant le nombre des vic­times de l’accident. On peut entendre Claire Cha­zal pro­non­cer, le 9 mars 2013, au jour­nal de 20 heures de TF1 : « Deux ans après la catas­trophe de Fuku­shi­ma qui a fait plus de 19 000 morts. » Phi­lippe Labro repro­duit la même confu­sion dans Direct Matin le 15 mars. Dans les esprits, les vic­times du tsu­na­mi sont deve­nues les vic­times de l’accident nucléaire, lequel à ce jour pour­tant, même s’il s’agit bien sûr d’une catas­trophe, n’a tou­jours pas offi­ciel­le­ment pro­duit un seul décès lié à la radioactivité.

En cause, entre autres, cer­tai­ne­ment une ques­tion de voca­bu­laire : alors que les Japo­nais dis­tinguent le « trem­ble­ment de terre et le tsu­na­mi de Toho­ku (Nord- Est)», et l’accident de Fuku­shi­ma, et font très net­te­ment la dif­fé­rence entre les consé­quences sani­taires des deux évé­ne­ments, les Fran­çais ne connaissent qu’un seul nom dont ils confondent les conséquences.

Les militants en première ligne

Un second point concerne Inter­net, où l’information sur l’accident aujourd’hui porte sur les risques sani­taires liés à la conta­mi­na­tion des ter­ri­toires et aux faibles doses, les pro­cé­dures de ges­tion du site et de décon­ta­mi­na­tion hors site, et les consé­quences éco­no­miques et psy­cho­lo­giques pour les popu­la­tions déplacées.

Dans les esprits, les vic­times du tsu­na­mi sont deve­nues les vic­times de l’accident nucléaire

Selon un phé­no­mène ana­ly­sé récem­ment par le socio­logue Gérald Bron­ner dans son livre La Démo­cra­tie des cré­dules (PUF) : « La parole des mili­tants est désor­mais mise sur le même plan que celle des scien­ti­fiques. Les pre­miers étant plus moti­vés et com­mu­ni­quant mieux que les seconds. La plu­part des débats sont tron­qués. » Les ana­lyses réa­li­sées par la SFEN, dans le cadre de sa mis­sion d’information du public, montrent que dans de nom­breux exemples de requêtes Google, les blogs anti­nu­cléaires appa­raissent dans les pre­miers liens pro­po­sés. Or, d’après les spé­cia­listes en com­mu­ni­ca­tion, 70 % des inter­nautes cli­que­raient, quand ils font une requête, sur un des trois pre­miers liens.

Com­ment l’expliquer ? Les mili­tants anti­nu­cléaires sont plus moti­vés, comme le dit Gérald Bron­ner, publient plus en volume, et plus sou­vent. Ils maî­trisent aus­si mieux la tech­nique et l’utilisation des réseaux sociaux.

Mieux informer

Forte de ces ensei­gne­ments, à l’occasion du débat sur la tran­si­tion éner­gé­tique, la SFEN a mis en place ain­si de nou­veaux outils de com­mu­ni­ca­tion. En plus de sa pré­sence dans les grands médias, de l’organisation d’événements et de débats label­li­sés à Paris, et de son site Inter­net qui pré­sente une source docu­men­taire de plus de 1 000 docu­ments, elle a lan­cé un blog « Éner­gies et Nucléaire », ouvert un compte Twit­ter, et expé­ri­mente de nou­velles méthodes d’information.

Blo­gueurs contre experts
Il ne faut pas sous-esti­mer l’utilisation d’outils comme les blogs, que favo­risent les moteurs de recherche. Les mili­tants savent aus­si géné­rer l’information virale qu’affectionne Twit­ter par exemple : les accroches sen­sa­tion­nelles, émo­tion­nelles, ou pro­vo­ca­trices que les com­mu­nau­tés du Web aiment propager.
Cela d’autant plus que le public n’exige pas fina­le­ment d’un mili­tant d’être exact : il attend avant tout qu’il soit convain­cu. L’information four­nie par les experts, par défi­ni­tion fac­tuelle et mesu­rée, paraît moins attrac­tive, est moins relayée, et se retrouve par consé­quence moins accessible.

L’enjeu n’est pas cette fois-ci d’informer sur Fuku­shi­ma, mais de per­mettre aux Fran­çais de mieux connaître toutes les éner­gies, le nucléaire en par­ti­cu­lier. Il s’agit bien sûr aus­si de mettre en avant les béné­fices du nucléaire, en termes de com­pé­ti­ti­vi­té, de bilan CO2, d’emplois et de balance commerciale.

Il s’agit, au-delà du débat, d’animer la com­mu­nau­té des ingé­nieurs de l’industrie, et de tous ceux qui s’intéressent à l’énergie nucléaire et à ses applications.

Il s’agit enfin, dans les années qui viennent, d’accompagner le renou­vel­le­ment de géné­ra­tions d’une indus­trie qui pré­voit de réa­li­ser près de 120 000 embauches d’ici 2020.

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1. Spe­cial Baro­me­ter 324, Euro­peans & Nuclear Safe­ty, mars 2010, p. 11.
2. Ipsos Mori, Robert Knight, octobre 2012.

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Sola­rHomerépondre
23 février 2014 à 22 h 16 min

Mme Chau­don, comme presque

Mme Chau­don, comme presque toute la Tech­no­cra­tie Ato­mique ne pro­pose que des « opé­ra­tions de com­mu­ni­ca­tion » pour « réta­blir la confiance » face aux risques d’ex­plo­sions des cen­trales nucléaires. Ca prouve à quel point le Lob­by de l’A­tome est à bout de souffle.

Mal­heu­reu­se­ment la réa­li­té est tri­viale, pas la peine d’être diplô­mé de l’X pour la per­ce­voir : Depuis Fuku­shi­ma les citoyens des pays nucléaires avan­cés peuvent mesu­rer en temps réel l’é­nor­mi­té des coûts et des consé­quences d’un acci­dent nucléaire qui, selon les cal­culs des pro­mo­teurs de cette indus­trie, n’a­vait pour­tant qu’une chance sur 1 mil­lion de sur­ve­nir. Pour le moment le chif­frage com­plet des dégâts engen­drés par la catas­trophe de Fuku­shi­ma avoi­sine les 100 mil­liards, pour seule­ment 2 décès recon­nus. Fuku­shi­ma est donc la catas­trophe indus­trielle la plus coû­teuse de l’his­toire de l’humanité.

Mais le pire est à venir : Mme Chau­don, comme tout bon Tech­no­crate de l’A­tome sait que la fac­ture ne va faire qu’empirer pen­dant des décen­nies. Conclu­sion du citoyen de base : je n’au­rai confiance dans le nucléaire que quand cette indus­trie pro­vi­sion­ne­ra cor­rec­te­ment le cout com­plet d’un acci­dent nucléaire, c a d rien que pour la France, un mon­tant com­pris entre 400 et 5400 mil­liards d’eu­ros selon les études de l’IRSN.

Cette ques­tion est loin d’être secon­daire. Le fait que plus per­sonne n’ose se pro­non­cer sur la fina­li­sa­tion du contrat de cen­trales nucléaires d’A­re­va en Inde ne serait-il pas, par hasard, lié à une pro­blé­ma­tique des coûts d’as­su­rance en cas d’ac­ci­dent qu’A­re­va va être obli­gée de provisionner ?

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