André-Louis Cholesky (X 1895)

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°613 Mars 2006Par : Bulletin n° 39 de la SabixRédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

Au cours des der­nières années la Biblio­thèque de l’École poly­tech­nique a reçu deux nou­veaux fonds d’archives ouverts à la consul­ta­tion des cher­cheurs : le fonds Laurent Schwartz et le fonds André-Louis Cholesky.

Il serait super­flu de rap­pe­ler aux lec­teurs de La Jaune et la Rouge l’importance des tra­vaux de Laurent Schwartz dans le domaine des mathé­ma­tiques, et sa contri­bu­tion à l’enseignement dis­pen­sé à l’École poly­tech­nique. Il y a fon­dé, déve­lop­pé et ani­mé long­temps le centre d’études qui porte son nom. Dans un numé­ro pré­cé­dent de la revue Ber­nard Ésam­bert a ren­du hom­mage à ce mathé­ma­ti­cien par­ti­cu­liè­re­ment doué qui sou­vent s’engagea géné­reu­se­ment dans le com­bat politique.

Le fonds d’archives qu’il a légué à la Biblio­thèque a été clas­sé par M. Alain Gui­char­det, qui fut pour lui un proche col­la­bo­ra­teur. Dans le bul­le­tin n° 39 de la Sabix (Socié­té des amis de la Biblio­thèque de l’École poly­tech­nique), Alain Gui­char­det pré­sente suc­cinc­te­ment le fonds. Puis il évoque en termes sobres les rela­tions de Laurent Schwartz avec l’École et son minis­tère de tutelle, rela­tions, qui, par­fois dif­fi­ciles et conflic­tuelles, furent le plus sou­vent cha­leu­reuses. Membre du Conseil d’administration de l’École, il se mon­tra un ardent pro­mo­teur des réformes des­ti­nées à l’adapter à l’évolution contem­po­raine des sciences et des techniques.

André-Louis Cho­les­ky, poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1895, demeure mal connu et les éclai­rages que porte sur sa vie et ses tra­vaux le bul­le­tin n° 39 de la Sabix ne man­que­ront pas de rete­nir l’attention des lec­teurs inté­res­sés par l’histoire en géné­ral, et par l’histoire des sciences en par­ti­cu­lier. Son petit-fils, M. Charles Gross, a dépo­sé à la Biblio­thèque un ensemble de docu­ments conser­vés par la famille, docu­ments explo­rés par Claude Bre­zins­ki, pro­fes­seur à l’université des Sciences et Tech­no­lo­gies de Lille, qui retrace la car­rière du poly­tech­ni­cien, et pro­cède à une ana­lyse de ses travaux.

Offi­cier du corps de l’artillerie, André-Louis Cho­les­ky fut long­temps affec­té au Ser­vice géo­gra­phique de l’état-major de l’Armée, et prit part à des cam­pagnes de topo­gra­phie en France, en Algé­rie, en Tuni­sie et en Crète. Ces cam­pagnes com­mencent par la construc­tion de mires sur le ter­rain, et se pour­suivent par des visées qui per­mettent de mesu­rer les angles for­més par les droites qui joignent les dif­fé­rentes mires. À par­tir de ces mesures, affec­tées de marges d’incertitude, on cal­cule les posi­tions géo­gra­phiques des mires. Cho­les­ky, esprit curieux et ima­gi­na­tif, prompt à tirer par­ti de sa capa­ci­té à rai­son­ner, s’est cepen­dant lui­même plié aux contraintes de tâches par­fois pénibles, car les sup­ports de mires devaient être pla­cés sur les points les plus éle­vés de la cam­pagne. À ce pro­pos la lec­ture de pages extraites des car­nets de Cho­les­ky, trans­crites par Claude Bre­zins­ki, nous fait vivre avec une cer­taine émo­tion l’activité quo­ti­dienne d’un jeune offi­cier affron­tant d’ingrats pro­blèmes de logis­tique dans les mon­tagnes ennei­gées des Alpes ou de la Crète.

Mais plus tard, met­tant à pro­fit ses capa­ci­tés dans le manie­ment des concepts mathé­ma­tiques, il invente une méthode de réso­lu­tion des sys­tèmes d’équations linéaires, décrite aujourd’hui dans de très nom­breux ouvrages de cal­cul numé­rique et ensei­gnée à d’innombrables étu­diants, alors que son auteur reste pra­ti­que­ment mécon­nu. Claude Bre­zins­ki enseigne les mathé­ma­tiques, il ne cache pas le sen­ti­ment de bon­heur res­sen­ti en décou­vrant le pré­cieux manus­crit où Cho­les­ky dérou­lait son fameux algorithme.

À pro­pos de la déter­mi­na­tion des points géo­gra­phiques par tri­an­gu­la­tion, il nous explique com­ment les mesures d’angles, redon­dantes et affec­tées “ d’erreurs ”, conduisent, par la méthode des moindres car­rés, à des sys­tèmes de nom­breuses équa­tions linéaires impli­quant de nom­breuses incon­nues. Dans un temps où les machines à cal­cu­ler méca­niques tra­vaillaient très len­te­ment, l’algorithme de Cho­les­ky rédui­sait consi­dé­ra­ble­ment le temps de cal­cul. Il est inté­res­sant d’imaginer le che­mi­ne­ment intel­lec­tuel qui a conduit l’auteur jusqu’à cette invention.

Du point de vue de l’histoire, l’évocation de la vie de Cho­les­ky nous signale aus­si l’ampleur des tra­vaux entre­pris par la France à cette époque, afin d’améliorer la car­to­gra­phie en métro­pole, et dans bien d’autres régions.

Vient la Grande Guerre. Cho­les­ky s’intéresse à la pho­to­gra­phie aérienne, au repé­rage des aéro­nefs, à la cor­rec­tion de poin­tage en com­bat aérien… De sep­tembre 1917 à février 1918 il est déta­ché à la mis­sion mili­taire en Rou­ma­nie. En juin 1918 il rejoint un régi­ment d’artillerie de l’Armée Man­gin, et mal­heu­reu­se­ment il décède le 31 août 1918 des suites de bles­sures reçues sur le champ de bataille.

Pour per­mettre de mieux appré­cier les acti­vi­tés de ce per­son­nage atta­chant en les situant dans un cadre plus large, C. Bre­zins­ki pré­sente à l’intention des lec­teurs qui ne sont pas fami­liers des tech­niques de la géo­dé­sie un résu­mé de l’histoire de cette science inti­tu­lé Géo­dé­sie, Topo­gra­phie et Car­to­gra­phie. Ce texte dense et syn­thé­tique défi­nit les concepts de façon pré­cise, et rap­pelle la longue chaîne de réflexions et d’observations qui, depuis les anciens Grecs jusqu’à nos jours, a abou­ti à déter­mi­ner la figure de la pla­nète telle qu’elle est rete­nue aujourd’hui.

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