André Gempp (39), 1920–2005

Dossier : ExpressionsMagazine N°612 Février 2006Par : Jean TOUFFAIT (44)

André GEMPP, pro­mo­tion 1939, nous a quit­tés le 14 août der­nier ; il venait d’a­voir 85 ans. Nous étions nom­breux, du Génie mari­time, offi­ciers ou ingé­nieurs sous-mari­niers, à Sol­liès-Tou­cas, près de Tou­lon pour assis­ter à ses obsèques et aux hon­neurs mili­taires qui lui ont été rendus.

Entré à l’X à 19 ans, il choi­sit à la sor­tie le corps du Génie mari­time. Après l’é­cole d’ap­pli­ca­tion, il est affec­té à Tou­lon où, très vite, on le charge de l’en­tre­tien des sous-marins, flotte hété­ro­clite d’o­ri­gine fran­çaise et alle­mande, avec une docu­men­ta­tion et des rechanges à un très faible niveau.

Vers la fin de son séjour, il a la charge de la mise au point du pre­mier bathy­scaphe. En effet, si la vali­di­té du concept ima­gi­né par le pro­fes­seur Pic­card avait été démon­trée, l’en­gin qu’il avait conçu s’é­tait révé­lé inca­pable d’une exploi­ta­tion normale.

André Gempp enve­loppe la sphère dans une struc­ture remor­quable en mer et trans­forme le sas d’ac­cès en un véri­table bal­last de sous-marin. Il en résulte des rela­tions dif­fi­ciles avec le pro­fes­seur qui quitte le pro­jet pour ceux des Trieste, ita­lien puis amé­ri­cain, qui reprennent les solu­tions ima­gi­nées à Tou­lon, vali­dées par la plon­gée record à plus de 4 000 mètres au large de Dakar avec Houot et Willm (45) à bord, en février 1954.

À cette date, André Gempp avait quit­té la métro­pole pour Saï­gon où la Direc­tion des construc­tions navales assu­rait l’en­tre­tien opé­ra­tion­nel de la flotte enga­gée en Extrême-Orient, mais il ne sera pas oublié dans l’at­tri­bu­tion des récom­penses qui sui­vront ce record, aujourd’­hui trop oublié.

Après Saï­gon et un bref séjour tou­lon­nais, de février 1954 à mars 1956, il est dési­gné pour prendre le poste de chef de la sec­tion sous-marins du Ser­vice tech­nique des construc­tions et armes navales à Paris, car, du fait de nom­breux départs, il se trouve être le plus ancien des ingé­nieurs du Génie mari­time sous-mariniers.

La charge de cette sec­tion aux effec­tifs réduits était lourde avec l’a­chè­ve­ment des Nar­val, la construc­tion des Aré­thuse et des Daph­né, le sui­vi de la flotte en ser­vice et, à la fin des années 1950, le pro­jet de sous-marin à pro­pul­sion nucléaire à ura­nium natu­rel qui échoue pour des rai­sons tech­niques. Mais on avait pu consta­ter, à cette occa­sion, que l’or­ga­ni­sa­tion de liai­son « Marine CEA » n’é­tait pas satis­fai­sante et ne lais­sait pas assez d’i­ni­tia­tives au chef de la sec­tion sous-marins du STCAN.

Aus­si, lorsque le géné­ral de Gaulle a déci­dé de doter notre force de dis­sua­sion d’une com­po­sante navale sous-marine, une orga­ni­sa­tion, Cœla­canthe, a été mise en place, don­nant à deux ingé­nieurs des fonc­tions très impor­tantes : un maître d’œuvre prin­ci­pal char­gé, entre autres, de la cohé­rence tech­nique et calen­daire de l’en­semble du pro­jet, le MOP, et le maître d’œuvre construc­tions navales, archi­tecte du navire, char­gé du pro­jet d’un sous-marin, inno­vant dans presque toutes ses per­for­mances, inté­grant un sys­tème d’armes en cours de déve­lop­pe­ment et devant être conduit avec un grand nombre de coopé­rants, de la DCAN, de la Marine, des ser­vices éta­tiques et de l’in­dus­trie privée !

Ben­sus­san (27) a été le pre­mier MOP, André Gempp, le pre­mier archi­tecte du navire. On lui doit, en par­ti­cu­lier, l’i­ni­tia­tive par­ti­cu­liè­re­ment féconde, d’a­voir fait construire un sous-marin expé­ri­men­tal, Le Gym­note, qui ser­vi­ra à la mise au point des sys­tèmes stra­té­giques, du M1 pour Le Redou­table jus­qu’au M4 inclus, sans péna­li­ser le pro­gramme de mise au point des SNLE.

La réus­site d’An­dré Gempp dans ce rôle d’ar­chi­tecte sera recon­nue puisque, deve­nu ingé­nieur géné­ral, il sera dési­gné pour prendre la suite de Ben­sus­san comme MOP, à l’é­té 1966. Il étend alors son action vers les autres com­po­santes du pro­gramme, dont l’en­vi­ron­ne­ment à terre : base de l’île Longue, pyro­tech­nies, sta­tion VLF de Ros­nay, centres d’en­traî­ne­ment… Tous ceux qui ont tra­vaillé à ses côtés, ingé­nieurs civils et mili­taires, offi­ciers de marine évoquent tou­jours son action avec admi­ra­tion, avec émotion.

Il occupe ce poste jus­qu’à fin jan­vier 1972, date impor­tante du pro­gramme puisque Le Redou­table appa­reille pour sa pre­mière patrouille opé­ra­tion­nelle tout début février. À la réunion du Conseil des ministres qui décide de sa nou­velle affec­ta­tion, la direc­tion de la DCAN de Tou­lon, le 19 jan­vier 1972, le ministre d’É­tat char­gé de la Défense natio­nale, Michel Debré, rend hom­mage à André Gempp » pour son action remar­quable (…) qui avait trou­vé son abou­tis­se­ment dans la mise en ser­vice du pre­mier sous-marin lan­ceur d’en­gins, Le Redou­table « . Déjà, en 1967, à l’oc­ca­sion de la pro­mo­tion spé­ciale sui­vant le lan­ce­ment du Redou­table, il avait été pro­mu offi­cier de la Légion d’honneur.

Il res­te­ra à la tête de la DCAN de Tou­lon jus­qu’à fin sep­tembre 1979. C’é­tait alors la plus » grosse » direc­tion locale des construc­tions navales, avec plus de 8 000 emplois : entre­tien de la flotte, dont les porte-avions, entre­tien d’a­vions à Cuers, pyro­tech­nies, centres d’é­tudes et expé­ri­men­ta­tions pour les sys­tèmes d’armes, les sous-marins… Avec com­pé­tence, avec auto­ri­té, avec l’en­tière confiance du direc­teur cen­tral, il dirige ce grand ensemble indus­triel dans le sou­ci per­ma­nent du plein-emploi et de la productivité.

Il n’a­vait pas atteint la limite d’âge de son grade lors­qu’il décide de par­tir en deuxième sec­tion et de mettre ain­si un terme à sa car­rière, entiè­re­ment au ser­vice des construc­tions navales mili­taires. Il était com­man­deur de la Légion d’hon­neur, allait deve­nir grand offi­cier de l’ordre natio­nal du Mérite, com­man­deur du Mérite mari­time et titu­laire d’autres décorations.

Il aura été un ingé­nieur du génie mari­time au sens plein du terme, alliant com­pé­tences tech­niques et scien­ti­fiques, sens de l’or­ga­ni­sa­tion, apti­tude à la ges­tion de pro­grammes com­plexes, un exemple pour beau­coup. Son auto­ri­té ferme sous une appa­rence bour­rue, ses avis don­nés de sa voix grave res­tent dans les mémoires.

Il s’est reti­ré à Sol­liès-Tou­cas, dans son mas au milieu de ses oli­viers ; ses pro­blèmes de san­té s’é­taient aggra­vés ces der­nières années. Il vivait assez mal cer­taines évo­lu­tions de la socié­té fran­çaise. Tout récem­ment, il s’é­tait indi­gné (il n’é­tait pas le seul) de la façon dont la presse locale com­men­tait le pro­cès à Mar­seille, dit de la DCN de Tou­lon. Lui qui l’a­vait diri­gée plus de sept ans connais­sait l’in­té­gri­té des ingé­nieurs, leur sou­ci d’ac­com­plir leur mis­sion, au détri­ment le cas échéant du strict res­pect de règles admi­nis­tra­tives de moins en moins adap­tées à la conduite de tâches indus­trielles à inci­dences opérationnelles.

Peu après sa pre­mière affec­ta­tion à Tou­lon, en 1946, il a épou­sé Pier­rette. Elle est une petite-fille de l’a­mi­ral Dave­luy qui est deve­nu célèbre, il y a une cen­taine d’an­nées, par ses prises de posi­tion sou­vent pro­phé­tiques, pour les sous-marins en par­ti­cu­lier. Ils ont eu sept enfants ; deux d’entre eux sont dis­pa­rus dont l’un au prin­temps der­nier. André Gempp m’a­vait annon­cé en 1996 le début de la troi­sième génération…

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