Allier l’audace et la curiosité

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Marion GUILLOU (73)

REPÈRES

REPÈRES
Poly­tech­ni­cienne (73), doc­teur en phy­si­co­chi­mie des bio­trans­for­ma­tions, Marion Guillou a été cher­cheur à l’u­ni­ver­si­té de Nantes, délé­guée régio­nale à la recherche et à la tech­no­lo­gie, atta­chée agri­cole de l’am­bas­sade de France à Londres, direc­trice géné­rale de l’a­li­men­ta­tion au minis­tère de l’A­gri­cul­ture, direc­trice géné­rale de l’Ins­ti­tut natio­nal de la recherche agro­no­mique (INRA), qu’elle pré­side depuis juillet 2004.
« J’ai bien aimé la der­nière carte de vœux de l’É­cole poly­tech­nique, com­mente Marion Guillou, avec la pho­to­gra­phie de nos jeunes rameuses par­ties à la conquête de l’At­lan­tique. Elles nous vantent l’au­dace d’en­tre­prendre. C’est col­lec­tif, cou­ra­geux, pas gagné d’a­vance. Cela néces­site de prendre des risques. C’est ain­si qu’il faut mener une carrière. »

Explorer des domaines nouveaux

Sor­tie elle-même de l’É­cole dans le corps des ingé­nieurs du Génie rural et des Eaux et Forêts, Marion Guillou s’in­té­resse alors à la bio­lo­gie et à la science des aliments.

« Je n’a­vais pas de domaine de pré­di­lec­tion mais un goût per­son­nel pour le vivant, pour la nature. Mon moteur est la curio­si­té, l’en­vie de com­prendre, la recherche du sens. J’ai une grande admi­ra­tion pour ceux qui inventent, qui explorent des domaines nouveaux. »

« Sur le plan du tra­vail, le choix géo­gra­phique est impor­tant. Avec Her­vé, nous avons choi­si de tra­vailler tous les deux ; nous avons chan­gé plu­sieurs fois d’af­fec­ta­tion de manière coor­don­née, par­fois déca­lée, mais pas trop. Nous avons vécu dans la Manche, à Paris, à Nantes, à Londres, puis de nou­veau à Paris. »

Un sens pragmatique de l’organisation


Mar­seillaise, Marion Guillou effec­tue ses études de « pré­pa » au lycée Thiers. Entrée à l’X en 1973, elle découvre Paris et la vie d’é­tu­diante, pra­tique la voile, s’a­donne à la gra­vure, orga­nise un voyage en Chine, se pré­oc­cupe de pro­blèmes sociaux. Elle mène en paral­lèle des études de bio­lo­gie à la facul­té de Jus­sieu. Mariée, mère de trois enfants déjà grands, elle se pas­sionne aus­si pour la Pro­vence, la mer… et la recherche agronomique.

Quels sont les points forts de son métier ? « Un sens prag­ma­tique de l’or­ga­ni­sa­tion et du mana­ge­ment. Je suis PDG d’un orga­nisme de recherche important.

Un sens prag­ma­tique de l’or­ga­ni­sa­tion et du management

L’INRA emploie envi­ron 8 500 per­sonnes dans toutes les régions de France et presque 10000 si on compte les doc­to­rants enca­drés par l’Ins­ti­tut. Ces per­sonnes conduisent des pro­grammes en sciences de la vie, sciences de l’en­vi­ron­ne­ment et sciences humaines et sociales. Les moyens finan­ciers sont de l’ordre de 750 mil­lions d’euros

« Tout cela sup­pose, bien sûr, beau­coup de tra­vail mais un tra­vail moti­vant, en équipe, créa­tif. J’aime sou­te­nir et déve­lop­per de grands pro­jets dans des domaines explo­ra­toires, aux niveaux natio­nal et inter­na­tio­nal. « Je conti­nue ain­si à exer­cer un rôle social, au sens du trai­te­ment de sujets de société. » 

Une militante

« Un tel enga­ge­ment pro­fes­sion­nel ne se conduit pas avec indifférence.

« Je pour­rais me qua­li­fier de mili­tante non partisane.

« J’ai accep­té par ailleurs plu­sieurs res­pon­sa­bi­li­tés, à côté de cet enga­ge­ment pro­fes­sion­nel. Par exemple, je par­ti­cipe au Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’Au­to­ri­té euro­péenne de sécu­ri­té des ali­ments. Je pré­side le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’X. L’É­cole poly­tech­nique est un des éta­blis­se­ments fran­çais d’en­sei­gne­ment natio­nal. L’ob­jec­tif fixé par le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion est d’al­ler plus loin : en com­plé­tant la gamme des dis­ci­plines appro­fon­dies (bio­lo­gie aux inter­faces) et en déve­lop­pant notre capa­ci­té scien­ti­fique dans quelques domaines forts : phy­sique (laser, optique), mathé­ma­tiques (simu­la­tion, orga­ni­sa­tion de sys­tèmes com­plexes). La for­ma­tion d’in­gé­nieurs demeure notre cœur de métier mais nous créons en ce moment une gra­duate school, lar­ge­ment ouverte aux étu­diants internationaux.

« Bref, beau­coup d’am­bi­tions à por­ter avec une équipe de direc­tion remar­quable et mobi­li­sée, et donc pour moi du temps, de l’éner­gie, de la réflexion stra­té­gique avec Paris­Tech, Saclay, les entre­prises ou le minis­tère de la Défense. » 

La vie de la cité

Gérer une car­rière au féminin
« Une car­rière d’in­gé­nieur est tout à fait com­pa­tible avec une vie de famille, affirme Marion Guillou. Elle convient bien aux femmes, contrai­re­ment à l’i­mage atta­chée à ces métiers. « Il faut, bien sûr, un conjoint qui soit d’ac­cord pour que cha­cun mène sa propre car­rière. En ce qui nous concerne, nos domaines pro­fes­sion­nels sont tota­le­ment dis­joints. Nous en avons déci­dé très vite car nous avons tous deux un carac­tère fort. Nous par­ta­geons beau­coup d’autres choses, la navi­ga­tion, les voyages, la com­pli­ci­té avec nos enfants, mais pas le boulot. »

Est-ce que Marion Guillou envi­sage une par­ti­ci­pa­tion à la vie politique ?

« Je ne par­ti­cipe pas à la vie des par­tis poli­tiques, mais plu­tôt à la vie de la cité, en étant membre de la Com­mis­sion Atta­li, ou en pré­si­dant un groupe de sui­vi du Gre­nelle de l’en­vi­ron­ne­ment par exemple. Il faut faire des choix.

« De plus, en poli­tique, il est néces­saire d’a­dop­ter toutes les opi­nions de son par­ti, cela ne me convient pas.

« J’es­time les per­son­na­li­tés enga­gées en poli­tique pour leur vision glo­bale et leur sens d’une mis­sion col­lec­tive. J’ai tra­vaillé avec cer­taines d’entre elles, mais la démo­cra­tie peut se vivre sur d’autres terrains. »

Des valeurs collectives 

Une car­rière d’in­gé­nieur convient bien aux femmes contrai­re­ment aux idées reçues

Que pen­ser de la confré­rie poly­tech­ni­cienne ? « L’É­cole, avec la vie en inter­nat, la place don­née aux pro­jets de groupe, aux acti­vi­tés asso­cia­tives et le ser­vice mili­taire ou civil, déve­loppe effec­ti­ve­ment un sens des res­pon­sa­bi­li­tés, une capa­ci­té d’i­ni­tia­tive, assez spé­ci­fiques de l’X me semble-t-il… et par là même occa­sion des liens excep­tion­nels entre les étudiants.

« Avec mes « coturnes » des années 75, nous nous revoyons très régu­liè­re­ment, avec le plai­sir qui s’at­tache aux ami­tiés durables.

Et l’avenir ?

« Je n’ai pas d’i­dée pré­con­çue. Jamais rien n’est pré­vu d’a­vance. Je reste très ouverte aux oppor­tu­ni­tés à venir. Repar­tir à l’é­tran­ger, pour­quoi pas ? »

Pro­pos recueillis par Jean-Marc Cha­ba­nas (58)

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