Gravure du livrel’Hypnerotomachia Poliphili édité par Alde l'ancien

2015, année aldine

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°702 Février 2015Rédacteur : Jonathan CHICHe (05)

En 2015, les patriotes fran­çais pour­ront com­mé­mo­rer la bataille de Mari­gnan et les Bri­tan­niques celle d’Azincourt, mais la célé­bra­tion du cin­quième cen­te­naire de la mort d’Alde Manuce devrait s’affranchir de toute consi­dé­ra­tion de poli­tique inter­na­tio­nale au sein de la gent bibliophilique.

« Alde l’Ancien » fait par­tie des figures des débuts de l’imprimerie moderne dont les pro­duc­tions se parent, aux yeux des ama­teurs de livres, de l’aura qua­si mythique du nom des ate­liers dont elles sont sor­ties. S’il n’a pas été le pre­mier impri­meur d’Italie, Sweyn­heim et Pan­nartz, venus d’Allemagne, l’ayant en cela pré­cé­dé, ni même le pre­mier à s’établir à Venise, où les affaires de Nico­las Jen­son pros­pé­raient bien des années plus tôt, Alde demeure le sym­bole, par­mi les impri­meurs, de la Renais­sance italienne.

On ne sau­ra pro­ba­ble­ment jamais pré­ci­sé­ment pour­quoi, vers 1490, il s’installa à Venise pour deve­nir impri­meur à l’âge d’environ qua­rante ans. S’il n’abandonna pas ses acti­vi­tés d’enseignant non plus que ses ambi­tions de fon­der en quelque recoin de l’Europe une « Aca­dé­mie » aux des­ti­nées huma­nistes de laquelle il aurait pré­si­dé, cette déci­sion le condam­nait à une exis­tence labo­rieuse excluant le confort d’une posi­tion plus en vue qu’auraient pu lui pro­cu­rer son intel­li­gence et son entregent.

Si sa réus­site s’appuie pour une part sur les sou­tiens qu’il avait réunis jusque dans la famille du doge, le métier d’imprimeur ne béné­fi­ciait pas de l’estime géné­rale, même chez les savants, et le genre d’idéaux qu’Alde pro­fes­sait ont tou­jours sus­ci­té davan­tage de consi­dé­ra­tion que d’aisance matérielle.

Ses pre­mières publi­ca­tions témoignent déjà de son objec­tif de repro­duire par les nou­velles tech­niques les textes de l’Antiquité grecque, consi­dé­rés comme néces­saires à la com­pré­hen­sion des œuvres latines qui sor­ti­raient de presses dans un deuxième temps. C’est cette volon­té de dif­fu­ser les écrits clas­siques – notam­ment dans un for­mat « de poche » nou­veau pour ce type d’ouvrages – qui fait d’Alde l’imprimeur de pre­mier plan de cette période, celui dont Érasme recher­cha les ser­vices et dont les habi­tants de l’Utopie de Tho­mas More uti­lisent les livres pour s’initier au grec.

Si les louanges sys­té­ma­tiques décer­nées par le pas­sé pour le soin avec lequel il éta­blis­sait les textes doivent se trou­ver tem­pé­rées, il n’en reste pas moins qu’Alde sut s’entourer, dans son entre­prise, de cer­tains par­mi les plus brillants esprits de son temps, et qu’à côté de publi­ca­tions réa­li­sées dans une impro­vi­sa­tion peut-être inévi­table, son impri­me­rie nous a lais­sé des ouvrages fruits de longues années de labeur intel­lec­tuel et tech­nique – on peut voir un écho de ce mode de tra­vail dans la devise fes­ti­na lente 1 figu­rant sur sa marque typo­gra­phique au dau­phin s’enroulant autour d’une ancre.

C’est tou­te­fois un ouvrage en ita­lien d’un de ses contem­po­rains, l’Hypnerotomachia Poli­phi­li, dans lequel un riche sym­bo­lisme – notam­ment archi­tec­tu­ral, et fai­sant même appel aux hié­ro­glyphes – est mis au ser­vice de l’évocation de l’amour de Poly­phile et Polia, qui, de nos jours, retient le plus l’attention.

L’identité de son auteur pro­bable, Fran­ces­co Colon­na, que son état de domi­ni­cain n’empêcha pas de se trou­ver au cœur de nom­breuses affaires des plus pro­fanes, ne s’y dévoile qu’à tra­vers un sub­til acrostiche.

On ignore tou­jours celle de l’auteur des somp­tueuses illus­tra­tions sur bois fai­sant de cet ouvrage de 1499 un chef‑d’œuvre total qui, plus de cinq siècles après sa pre­mière publi­ca­tion, n’a rien per­du de son attrait non plus que de son mystère.

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