Jean BORATRA en uniforme

Borotra, pour la Patrie, les Sports, la Gloire

Dossier : Traditions 2015 -Magazine N°Borotra, pour la Patrie, les Sports, la Gloire
Par Serge DELWASSE (X86)
Par François MAYER (X45)

Voi­ci 18 mois, Bra­chon, Ricaud et Del­wasse met­taient en ligne un papier sur Yves du Manoir, le plus mythique des X spor­tifs de haut niveau. Il sem­blait donc natu­rel de pour­suivre la série, avec le second cham­pion de l’entre-deux-guerres, Boro­tra (20S). Mais Del­wasse était miti­gé. Ecrire un papier sur ce salaud de vichyste ? Jamais ! Et puis il a trou­vé Mayer. Le deal fut simple : il ins­trui­sait à décharge, et Del­wasse à charge. Heu­reu­se­ment, les choses ne se passent jamais comme prévu…

Le contexte : Jean Boro­tra, X20 Spé­ciale – c’est-à-dire qu’il a pas­sé le concours réser­vé aux anciens com­bat­tants – est célèbre, dans l’ordre, pour avoir :

  • été l’un des mous­que­taires de la coupe Davis
  • été com­mis­saire géné­ral aux sports de Vichy
  • joué à très bon niveau jusqu’à un âge avancé
  • pré­si­dé l’association pour la défense de la mémoire du maré­chal Pétain

Par­mi les X d’après 75, il est sur­tout célèbre pour avoir une ave­nue à lui, ave­nue qui mène de la cour Fer­rié au Stade d’honneur.

François Mayer au service.

L’ancien parle, conscrit, tiens ta langue cap­tive, et prête à ses dis­cours une oreille attentive

Voi­ci dans le désordre deux ou trois choses sur Jean Boro­tra. Sou­ve­nirs per­son­nels, ou infor­ma­tions recueillies auprès de mon père (Armand Mayer, X13) qui a fait sa deuxième année à l’X après la guerre, et de mon beau-père de la pro­mo 22. Jean Boro­tra a fait ses deux ans, entre les deux, mais à l’époque, les poly­tech­ni­ciens de pro­mos voi­sines se connais­saient mieux qu’aujourd’hui. Les effec­tifs étaient moins impor­tants, et les pro­mos de guerre (celle de mon père comme de Boro­tra), avaient été déci­mées, et même plus. Sans être intimes, ils avaient de bonnes relations.

Mon père l’admirait pour avoir conci­lié le sport de haut niveau et une belle car­rière professionnelle.

  • Sport de haut niveau : même si le ten­nis n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, deux titres en simple à Roland-Gar­ros et deux à Wim­ble­don, un en Aus­tra­lie, et de mul­tiples titres en double (jusqu’à un âge avan­cé). Et une demi-dou­zaine de finales gagnés en coupe Davis. Enfant, je l’ai applau­di à Roland-Gar­ros, au moment où il ter­mi­nait sa car­rière en simple, pour la pour­suivre en double. Il a inven­té le ser­vice-volée. Il était presque impas­sible au filet, avec des réflexes excep­tion­nels, et sa vitesse de dépla­ce­ment était remar­quable. Sans par­ler du service.
     
  • En outre, c’était un show­man, plai­san­tant sur le court, un peu comme Hen­ri Leconte à Wim­ble­don ou Connors et Nas­tase. Il y avait le rituel du béret (basque) qu’il met­tait quand le public le récla­mait sur l’air des lam­pions : « le béret, le béret ! » ou qu’il enle­vait quand la par­tie deve­nait ser­rée. Autre rituel, celui des espa­drilles (basques) dont il chan­geait quand il avait besoin de cas­ser le rythme d’un adver­saire qui le domi­nait. A l’époque, il n’y avait pas de pauses aux chan­ge­ments de côté. Enfin, il lui arri­vait sou­vent de deman­der à rejouer le point quand l’arbitre avait, par erreur, décla­ré out une balle de l’adversaire. Il le fai­sait même sur des balles de set (à son détriment).

Il était aus­si cou­tu­mier du ren­ver­se­ment de situa­tion. En finale de Coupe Davis, mené par Vines deux sets à rien, 52 et 40–15 dans le troi­sième set, il a tout remon­té et gagné son simple.

Il n’était peut être pas le meilleur ten­nis­man des 4 mous­que­taires (Lacoste sur­tout, et Cochet lui étaient pro­ba­ble­ment supé­rieurs) – mais il était le plus doué phy­si­que­ment, et de loin le plus populaire.

Il avait beau­coup pra­ti­qué la pelote basque dans sa jeu­nesse, et il était qua­si débu­tant au ten­nis lors de son entrée à l’X (20 spé­ciale). Il a beau­coup plus tra­vaillé ses coups de raquette que les dis­ci­plines scien­ti­fiques. Et c’est pen­dant son séjour à l’école qu’il a percé.

Pan­tou­flard, il a été embau­ché par la SATAM (pompes à essence) en qua­li­té d’ingénieur com­mer­cial, à la com­mis­sion (peut être pas en tota­li­té, mais pour une part impor­tante de sa rému­né­ra­tion). En contre­par­tie, il était libre d’organiser son pro­gramme. Comme il tra­vaillait à l’exportation, il com­bi­nait une tour­née en Grande-Bre­tagne avec Wim­ble­don, ou en Alle­magne après Ber­lin ou Ham­bourg. Il pro­fi­tait de sa popu­la­ri­té spor­tive pour entrer chez les clients et décro­cher des contrats.

En outre, les années 20 ont vu un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable de l’automobile, et par consé­quent du mar­ché des pompes à essence. Il a bien­tôt gagné plus que son Président.

Je sais que, lors du rachat de la SATAM par le groupe de la Géné­rale d’Entreprise (éner­gie et tra­vaux publics), le pla­fon­ne­ment des appoin­te­ments de Boro­tra fit l’objet d’une négo­cia­tion longue, ami­cale et déli­cate entre le nou­veau pré­sident et l’intéressé. Tous les deux étaient de pro­mo­tions très voi­sines (Huve­lin X21) . Avant la lettre, Jean Boro­tra était un « people », un membre de la « jet-set » d’autant qu’il avait beau­coup de charme, et un contact très chaleureux.

Venons en au cha­pitre le plus délicat.

Comme nombre d’anciens com­bat­tants, il avait adhé­ré au PSF (Par­ti Social Fran­çais) fon­dé par le colo­nel de la Rocque après la dis­so­lu­tion des Croix de Feu.

Si le colo­nel de la Rocque s’inspirait des régimes auto­ri­taires, en réac­tion contre l’instabilité gou­ver­ne­men­tale chro­nique de la IIIème Répu­blique, il n’était pas vrai­ment fas­ciste. Le 6 février 1934, les Croix de Feu auraient pu, sans pro­blème, occu­per le Palais Bour­bon. Il s’y était oppo­sé, car il était léga­liste et non révo­lu­tion­naire. Il était aus­si très anti-alle­mand. Il a été arrê­té sous l’occupation et dépor­té en Alle­magne. Son adjoint, Charles Val­lin, dépu­té de Paris, avait rejoint Londres et s’était enga­gé dans une uni­té com­bat­tante (le bataillon de choc, je crois).

Boro­tra qui était aus­si un grand admi­ra­teur de Pétain, depuis la guerre de 14–18, fai­sait donc par­tie de cette mou­vance. En 1940, il a été Secré­taire d’Etat à la Jeu­nesse et aux Sports. Et ceci jusqu’au retour de Laval en avril 42. En matière de sports, il a com­bat­tu le pro­fes­sion­na­lisme qui lui parais­sait anti­no­mique de l’esprit sportif.

En matière de jeu­nesse, il a essayé d’utiliser cer­tains sports pour pal­lier l’absence de pré­pa­ra­tion mili­taire. Par exemple, le ski lui parais­sait une bonne pré­pa­ra­tion pour de futurs pilotes. Je n’en sais pas plus.

Après le débar­que­ment allié de novembre 42, il a déci­dé de par­tir en Espagne puis en Afrique du Nord. Il en a infor­mé la maré­chale Pétain, en lui écri­vant que reprendre la lutte contre les Alle­mands était une manière de res­ter fidèle à son ser­ment. C’était aus­si une impru­dence, car il y avait des espions alle­mands à Vichy.

Dans le train pour Madrid, les Alle­mands ont contrô­lé des bagages et ont trouv&uniforme d’officier dans sa valise. Arrê­té, il a été inter­né en Alle­magne dans le même châ­teau que Dala­dier, Paul Ray­naud, Game­lin, Wey­gand et peut-être d’autres (châ­teau d’Itter).

A son retour en mai 45, il a été mis en exa­men comme tous les anciens membres de gou­ver­ne­ments de Vichy. Il a obte­nu un non-lieu dans la jour­née – un record inéga­lé – rapide devant la jus­tice, comme sur le court.

Là inter­vient un sou­ve­nir personnel.

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En août 45, fraî­che­ment reçu à l’X, j’étais en vacances Biar­ritz. Les Amé­ri­cains venaient d’y ins­tal­ler une des trois uni­ver­si­tés pour GI’s (avec Cam­bridge et Hei­del­berg). Le Géné­rale Mar­shall, avait eu cette idée pour modé­rer le flux des retours des GI’s aux USA et faci­li­ter la réin­ser­tion de plu­sieurs mil­liers d’entre eux.

J’avais, par hasard, fait la connais­sance d’un ser­gent, pro­fes­seur d’histoire…et ancien cham­pion uni­ver­si­taire de ten­nis et rem­pla­çant de l’équipe de la Coupe Davis qui aurait dû se dérou­ler en 40, mais qui avait été annu­lée. Très simple, il avait la gen­tillesse de jouer avec le joueur non clas­sé que j’étais (et que je suis tou­jours res­té). Un jour, Boro­tra, l’enfant du pays, a fait son retour à Agui­le­ra (le club de ten­nis de Biar­ritz). Il cher­chait un par­te­naire et le secré­taire du club est venu nous deman­der d’interrompre notre par­tie pour que mon par­te­naire (le cham­pion amé­ri­cain pro­fes­seur d’histoire) puisse jouer avec l’ancien « Mousquetaire ».

J’ai arbi­tré leur simple. Et à la fin, Boro­tra m’a pro­po­sé de jouer un set contre lui, en guise de remer­cie­ment. Il n’avait pas joué de depuis deux ans. Mais il n’a pas eu beau­coup de mal à me battre 63 (je m’en sou­viens encore, même si les trois jeux ont été pro­ba­ble­ment consen­tis, ou octroyés, par politesse).

Dans le ves­tiaire, il me com­pli­men­ta pour mon ten­nis, et me deman­da ce que je fai­sais dans la vie. Quand je lui ai par­lé de mon admis­sion à l’X, la flat­te­rie est de venue dithyrambe :

« Ah ! Si j’avais joué comme vous quand je suis entré à l’X ! »

C’était tout juste si je ne devait pas gagner Roland-Gar­ros à la sor­tie de l’Ecole ! Mais ce n’était pas fini. Sor­tant ensemble du ves­tiaire, nous avons ren­con­tré ma mère, à laquelle il avait déjà été pré­sen­té avant la guerre dans des récep­tions. Appre­nant que j’étais son fils, il ne fit pas non plus dans le détail :

« Vous, sa mère ? mais c’est impos­sible. Sa sœur aînée peut-être… »

Il était très séduc­teur. Et il ne crai­gnait pas dans faire trop. Et même si on n’y croyait pas, ce n’était pas désa­gréable, et on ne pou­vait pas lui en vou­loir. Par la suite, quand il m’apercevait à Agui­le­ra, il se conten­tait d’un petit salut sym­pa­thique. mais j’avais eu mon quart d’heure de gloire tennistique.

Tu com­pren­dras pour­quoi je ne dirai jamais de mal de Borotra.

L’ancien a par­lé. L’ancien a bien par­lé, mais le conscrit n’a pas dit son der­nier mot.

Avantage Service.
Delwasse s’efforce de relancer

Citation de Jean BOROTRA au Journal OfficielRepre­nons donc dans l’ordre :

Sa Guerre de 14

Il a assu­ré­ment fait ce qu’on appelle une « belle guerre ». Enga­gé volon­taire en 1916, à 18 ans, dans l’artillerie, il est rapi­de­ment aspi­rant, puis sous-lieu­te­nant à titre tem­po­raire. Même si son grade n’est ren­du défi­ni­tif qu’en 1921, il est plu­sieurs fois cité et reçoit la croix de guerre.

Son concours

Admis 67e, ça n’est pas mal. La note d’épure (1÷20 !), par contre ça fait un peu désordre. Je rap­pelle que toute note infé­rieure à 4 est éli­mi­na­toire. Il sem­ble­rait que les 182 points pour « ser­vices de guerre » aient ser­vi à quelque chose

A la boîte Carva

Je com­mence par la ques­tion tra­di : Boro­tra était-il mis­saire ? Je ne peux que vous encou­ra­ger à obser­ver atten­ti­ve­ment le pre­mier per­son­nage à droite du der­nier rang, sur la pho­to de la khô­miss 1920 – Vous note­rez que c’est une khô­miss nom­breuse, dou­blée pour cause de pro­mo dou­blée (20 N et 20S). Il y a éga­le­ment 4 kes­siers. – Ça res­semble. Ça res­semble même beau­coup. Évi­dem­ment, s’il est mis­saire, je vais avoir un peu de mal à le détester…


Photo de la Khomiss 1920

Son clas­se­ment – 221e sur 234 est éga­le­ment un clas­se­ment de mis­saire, ce mal­gré un 20/20 en note mili, aus­si appe­lée note de gueule :

Enfin, il y a cette anec­dote, rap­por­tée par Jean-Paul Cho­quel (68), que je tiens à remercier :

Je me sou­viens par­fai­te­ment du speech que Louis Leprince-Rin­guet avait fait sous la cou­pole à l’occasion de la célé­bra­tion du bicen­te­naire de l’École Poly­tech­nique, racon­tant son aven­ture à pro­pos de Borotra :

“J’étais élève de la pro­mo 1920N, Boro­tra était de la 1920S. Admis avant moi, il avait fait la guerre et avait rejoint l’École après. Nous y étions donc ensemble. Boro­tra aimait le ten­nis et il s’était ins­crit à une com­pé­ti­tion à Bruxelles sous un faux nom : Otra­bor. Mal­heu­reu­se­ment, un oral de phy­sique tom­bait à la même date et Boro­tra m’a deman­dé de l’y rem­pla­cer… J’ai donc dû endos­ser son uni­forme. Or il était offi­cier et déco­ré. Je n’étais ni l’un ni l’autre. J’étais assez ner­veux car, si peu de temps après la grande guerre, on ne plai­san­tait pas avec le port illé­gal de l’uniforme et des déco­ra­tions !Je l’ai rem­pla­cé en fai­sant de mon mieux pour répondre à l’examinateur… À la fin de l’examen, celui-ci m’a dit : “Boro­tra, vous devriez tra­vailler la phy­sique au lieu de tout le temps jouer au tennis !”

Alors, mis­saire ou sim­ple­ment trop de tennis ?

Notons au pas­sage qu’il a gagné le tour­noi de l’École. contrai­re­ment à ce que sa notice bio­gra­phique sur le site de l’école mentionne(ait), je n’ai pas trou­vé de trace de sa pré­sence dans l’équipe qui a gagné le Cham­pion­nat de France mili­taire de Foot­ball. Et il n’est pas sur la pho­to dont je dispose

Il éga­le­ment gagné le match tra­di – qui n’a eu que deux édi­tions – contre St-Cyr, ancêtre du TSGED.

Après l’École

Je ne revien­drai pas sur sa car­rière pro­fes­sion­nelle si bien décrite par Mayer. Je ne décri­rai pas non plus sa car­rière spor­tive, Wiki­pe­dia le fait mieux que moi. Petit clin d’oeil tou­te­fois, Pierre Les­canne, fils de Les­canne (24, et donc cocon d’Yves du Manoir), m’informe que ce der­nier a gagné le tour­noi de l’X (pro­ba­ble­ment en 26), tour­noi dont la finale était arbi­trée par Borotra.

Notre ami était ce qu’on appelle aujourd’hui un fana mili. Je ne peux résis­ter au plai­sir de vous mettre l’intégralité de ses états de ser­vices. Il en a bouf­fé de la réserve !

Il était éga­le­ment, comme l’a jus­te­ment rap­pe­lé Mayer, membre des Croix de Feu. Grand admi­ra­teur du colo­nel de la Rocque, il lui écrit ain­si le 9 août 1928 :

« Je sai­sis l’occasion que me donne cette lettre pour vous dire toute l’admiration que j’ai pour cette oeuvre magni­fique que vous pour­sui­vez et à laquelle je regrette de n’avoir pas davan­tage le temps de m’intéresser.

J’espère bien cepen­dant avoir cet hiver le plai­sir et l’honneur de vous ren­con­trer à l’occasion d’une mani­fes­ta­tion que vous orga­ni­sez ». source :centre d’histoire de l’europe du 20e siècle, fond la Rocque, car­ton lr46, che­mise ligue de la défense aérienne

Peu de temps après il publie cette mer­veilleuse tri­bune, qui le ferait pas­ser aujourd’hui pour un dan­ge­reux fas­ciste. Ô tem­po­ra, ô mores ! Néan­moins, on ne m’enlèvera pas de l’idée – nous y revien­drons plus loin, qu’il était, déjà, un peu réac.

La guerre de 39–45

Si notre lec­teur a lu de façon atten­tive les états de ser­vice, il n’aura pas man­qué de noter que Boro­tra, capi­taine de réserve de 40 ans, a été mobi­li­sé, et a fait l’intégralité de la guerre.

Arrive le moment déli­cat – Vichy – le Com­mis­sa­riat Géné­ral aux Sports

Tout d’abord, cher lec­teur, je me dois de t’expliquer à quoi sert ledit com­mis­sa­riat. Pas uni­que­ment à s’efforcer d’éviter aux spor­tifs de se ridi­cu­li­ser en par­lant à la presse :

Pas non plus à défi­nir les dimen­sions des courts de ten­nis et des ter­rains de rug­by. Notez cepen­dant la liste des sports mentionnés :

Oui, Cher Lec­teur, tu l’auras com­pris. Boro­tra Com­mis­saire Géné­ral aux sports s’est don­né deux missions :

  • For­ti­fier la Jeu­nesse fran­çais par le sport
  • Mais sur­tout défi­nir quels sont les sports accep­tables – ama­teurs… – et ceux qui ne le sont pas. Exeunt le Rug­by à XIII, le foot­ball pro­fes­sion­nel… Nous y revien­drons, mais je te demande, d’ores et déjà, de noter que la poli­tique spor­tive de Vichy consis­tait, entre autres, à regrou­per, de force, les fédé­ra­tions de sports « voi­sins ». C’est ain­si que la FFLT, la Fédé­ra­tion Fran­çaise de Lawn-Ten­nis, l’ancêtre de la FFT, a eu le plai­sir de se voir absor­ber le ping-pong – eh, oui, ça s’appelait comme ça à l’époque – le bad­min­ton, la longue paume et… la courte-paume.

La vie du ten­nis et de sa fédé­ra­tion, pen­dant la guerre

Pour mémoire, Pierre Gil­lou, pré­sident de la FFLT, a sou­hai­té démis­sion­ner dès 1941. Pierre Gilou était une figure du ten­nis fran­çais. Il avait en effet été le capi­taine de l’équipe de la coupe Davis. Boro­tra a orga­ni­sé un déjeu­ner avec Lacoste et lui, et Lacoste est deve­nu pré­sident de la FFLT, ce jusqu’en 1944. Offi­ciel­le­ment, Boro­tra ne joue donc aucun rôle dans la ges­tion du ten­nis fran­çais. Néan­moins, son ami­tié avec Lacoste, son pou­voir, en par­ti­cu­lier finan­cier en période de ration­ne­ment, font que sa pré­sence est palpable.

Au cours de cette période, la vie de la FFLT est pro­pre­ment sur­réa­liste. On orga­nise des tour­nois, y com­pris Roland-Gar­ros, on publie des clas­se­ments, on orga­nise des matches d’équipe contre des pays neutres (la Suède) ou l’Allemagne…Et sur­tout, on se pré­oc­cupe de trou­ver des balles et des chaus­sures – la caou­tchouc était ration­né ! Ce qui est incroyable, c’est que le débar­que­ment de juin 44 a lieu, et la FFLT conti­nue à gérer ses petites affaires comme si de rien n’était…

Je mets ici un exemple de CR de comi­té direc­teur de la FFLT, un par­mi tant d’autres, celui de la démis­sion de Lacoste. C’est conster­nant. A moins que… Lacoste pré­tend, dans une inter­view, qu’il a caché pas mal de résis­tants. Et si la FFLT n’était qu’une vaste opé­ra­tion de couverture ?

Je vous donne éga­le­ment le lien vers un papier récent de slate.fr (mer­ci Bart !)



A la libé­ra­tion, Pierre Gil­lou repren­dra son poste !

La reprise de Roland-Garros

Je dois avouer, à ma grande honte, que c’est mon prin­ci­pal sujet de sur­prise et de décep­tion. Je m’étais ima­gi­né que Boro­tra avait pro­fi­té de la guerre pour « piquer » Roland-Gar­ros, qui appar­te­nait conjoin­te­ment au Racing et au Stade-Fran­cais. La véri­té est plus pro­saïque – et plus honorable.

Roland-Gar­ros avait, au début de la guerre, ser­vi de camp d’internement. Les locaux avaient été for­te­ment dégra­dés. D’autre part, le SF et le RCF n’avaient pas non plus les moyens d’assurer l’entretien du stade. Il sem­ble­rait donc que la reprise de la conces­sion ait été négo­ciée, la FFLT repre­nant éga­le­ment les immo­bi­li­sa­tions en échange d’un enga­ge­ment à remettre le stade en état et en lais­ser béné­fi­cier les deux clubs. La négo­cia­tion qua­dri­par­tite (admi­nis­tra­tion / mai­rie de Paris / FFLT / clubs) fut longue. Néan­moins, la FFT a fait une bonne affaire !

Après-guerre

Blan­chi des accu­sa­tions de col­la­bo­ra­tion, décoré,

Mayer nous l’a expli­qué, ayant gagné assez d’argent pour ne pas avoir besoin de tra­vailler, Jean Boro­tra a recom­men­cé à jouer au ten­nis, sport qu’il a pra­ti­qué régu­liè­re­ment très long­temps, par exemple en jouant avec Denis Groz­da­no­vitch , comme ce der­nier le mentionne.

Patrice Urvoy (X65) me rap­pelle ain­si le match de double orga­ni­sé à l’X, oppo­sant la paire Boro­tra – Leprince-Rin­guet à Rouyer (X65) et Dela­rue (65), en 66 ou 67, pour l’inauguration du court de l’Ecole. Dela­rue se souvient :

« Le Match du siècle, quelques souvenirs
L’inauguration du court de ten­nis de l’école, qui m’a per­mis d’affronter aux côtés de Jean-Loup Rouyer, alors n°5 fran­çais, la pres­ti­gieuse paire d’anciens for­mée par Jean Boro­tra et Louis Leprince-Rin­guet, reste, à quelques cin­quante ans de dis­tance, un grand sou­ve­nir. Glis­sons sur la mau­vaise blague (« Ah ! Trois contre deux !») qu’avait sus­ci­té chez les plus potaches d’entre nous l’affiche de la ren­contre. L’esprit tau­pin n’était pas si loin !

Le match fut un grand spec­tacle lar­ge­ment grâce à la pré­sence, dans tous les sens du terme, de Jean Boro­tra. Le théâtre très ramas­sé des opé­ra­tions : faible recul, grand soleil et assis­tance au bord des grillages, accen­tuait l’intensité dra­ma­tique de l’évènement. La puis­sance de jeu, sur­tout celle de Jean-Loup, don­nait un net avan­tage aux jeunes. Alors que l’issue s’est rapi­de­ment des­si­née, Jean Boro­tra s’est livré à un magni­fique baroud d’honneur en pro­cé­dant notam­ment à des chan­ge­ments inces­sants du posi­tion­ne­ment rela­tif de son équipe, main­te­nant par exemple son par­te­naire dans le même cou­loir que lui tan­dis qu’il occu­pait le filet pour deux par un dépla­ce­ment de der­nière minute. Je me sou­viens avoir été impres­sion­né par l’inventivité des com­bi­nai­sons hété­ro­doxes qu’il a alors déployées, engran­geant au pas­sage quelques inter­cep­tions marquantes.

Aucun sou­ve­nir du score qui était sans doute sans appel, mais sans impor­tance face à la for­mi­dable leçon d’art du double qui nous a été pro­di­guée. A l’issue du match, son ama­bi­li­té et sim­pli­ci­té ont ache­vé de nous séduire, tant les joueurs que les spec­ta­teurs. Alors que ce match a mar­qué l’apogée de ma car­rière ten­nis­tique, au moins en terme d’audience, il en a, je crois, mal­heu­reu­se­ment été de même pour Jean-Loup, qui n’a pas, à ma connais­sance, pu don­ner la mesure de ses for­mi­dables capa­ci­tés. Nous nous sommes rapi­de­ment per­dus de vue, lui par­tant à l’étranger dans l’assistance tech­nique, sans doute jusqu’à son décès en 2007. Mais les lec­teurs de ces lignes pour­ront peut-être nous en dire plus. »

Il a éga­le­ment gar­dé quelques postes d’administrateur, fait un peu de réserve, un peu d’organisations inter­na­tio­nales (Ten­nis, Unesco)…

Mais, il n’y a pas que du bon. Il y a aus­si du moins bon, comme cette tri­bune dans Ten­nis de France, où il s’opposait for­te­ment à l’ouverture du ten­nis, la fameuse « ère open », tri­bune qui lui valut de perdre son poste de vice-pré­sident de la Fédé­ra­tion Inter­na­tio­nal de Tennis.

Il y eut car­ré­ment le très mau­vais, comme cette lettre adres­sée à Alain Pey­re­fitte, Garde des Sceaux, pour deman­der la réha­bi­li­ta­tion du Maré­chal. Maré­chal dont il a long­temps pré­si­dé l’association pour la défense de la mémoire..

Mais, force est de consta­ter que tout ceci n’est pas très grave, et que Mayer a (presque) rai­son. Dif­fi­cile de ne pas être impres­sion­né par cet homme cou­ra­geux et fier de ses convictions.

Ne me reste alors que mon joker. Joker qui est éga­le­ment la rai­son de ma ran­cune. Vous vous sou­ve­nez de la fusion for­cée des fédé­ra­tions ? Ping-Pong, Bad­min­ton, Longue paumes ? Le Bad­min­ton (en 79) et le Ten­nis de table ont repris leur indé­pen­dance. La Longue paume éga­le­ment (l’a‑t-elle jamais per­due ?). Même le squash est deve­nu une fédé­ra­tion à part entière au début des années 80. Et la Fédé­ra­tion Fran­çaise de Courte-Paume, rede­ve­nue Comi­té Fran­çais de Courte-Paume, trop faible, à la Libé­ra­tion, avec ses quelques dizaines de membres et res­tée au sein de la FFT.

En soi ce n’est pas dra­ma­tique. C’est même plu­tôt sym­pa. Les quelques cen­taines de joueurs de paume sont ravis de faire par­tie de la FFT.

Je n’ai qu’une ques­tion : que sont deve­nus les actifs de la Fédé­ra­tion d’avant guerre ? Par exemple les locaux du bou­le­vard Richard-Lenoir ?

Mis­saire, Sédui­sant, Réac mais convain­cu, voi­ci un por­tait plu­tôt assez flat­teur, mal­gré tous mes efforts. Je lui lais­se­rai donc la parole. C’est extrait d’une très jolie video de l’INA. Je vous recom­mande d’aller jusqu’aux inter­views, à par­tir de la sep­tième minute :

« Une des rai­sons de notre suc­cès c’est sans nul doute que nous avons été dès l’origine d’excellents cama­rades, et que nous sommes deve­nus bien­tôt de grands amis, …, et dans cette ambiance les plus grands efforts deviennent faciles… »

Mis­saire, vous dis-je !

Archives

  • L’accès aux archives de la FFT, situées au Ten­ni­seum, est assez aisé. Mal­heu­reu­se­ment, elles semblent ne rien conte­nir avant 1950. La loi sur les archives n’était pas encore pas­sée par là. Mes sources ont donc été :
    • Les fac-simile de « Tous les sports », dont sont extraits les PV de Comi­té direc­teurs de la FFLT
    • « L’histoire de Roland-Gar­ros », qui m’a été aima­ble­ment four­nie par mon­sieur Guittard
    • A noter, tou­te­fois, un très bel album de pho­tos de la tour­née de Boro­tra en Afrique du Nord. Il s’était fait accom­pa­gner, entre autres, de Nakache
  • Le dos­sier mili­taire (source SHD) m’a éga­le­ment été four­ni par Mon­sieur Guittard
  • Les archives de l’Ecole
  • Et, bien sûr, le couple qui tue Google/ Gallica
  • Enfin, on pour­rait pro­ba­ble­ment trou­ver pas mal de choses aux Archives Natio­nales, ou celles de la Ville de Paris. Mais il faut y pas­ser un peu plus de temps que je ne l’ai fait.

Bibliographie

Remerciements

Outre les contri­bu­teurs, X, déjà cités, les auteurs sou­haitent remercier :

  • M. Oli­vier Azzo­la, Res­pon­sable des Archives de la BCX ;
  • M. Michaël Guit­tard, char­gé des Col­lec­tions au Tenniseum/ FFT ;
  • M. Ber­nard Gui­di­cel­li, Secré­taire Géné­ral de la FFT ;
  • M. Pierre Les­canne ; l
  • es cama­rades qui ont eu la gen­tillesse de lire, relire, lis­ter les fautes de frappes, sug­gé­rer des cor­rec­tions, en par­ti­cu­lier Dali­mier (65) qui m’a don­né le nom du par­te­naire de Rouyer
  • Toute la famille Del­wasse, qui a sup­por­té sa dif­fi­cul­té à accou­cher ce papier depuis quelques jours.

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